L’Histoire est en train de s’accélérer. Des pages se tournent, vite, comme un livre feuilleté par le vent. Sans qu’on puisse rien faire pour revenir en arrière, ni même appuyer sur pause. Dans ce temps qui paraît nous échapper, il est important d’être attentif aux signes et messages qui nous sont envoyés, même en apparence anodins ou anecdotiques. À un moment, ils trouveront leur place dans ce puzzle aujourd’hui si confus.
Jeudi 20 mai, soir de conseil municipal, à Chauvigny, après plus de 6 mois de conseils municipaux inaccessibles au public – D’autres communes, en dépit du contexte, ont trouvé des solutions pour que les séances demeurent publiques. Mais, je l’ai déjà écrit ici à plusieurs reprises : il n’y a pas dans cette commune la plus élémentaire démocratie – Nous étions 4 spectateurs/trices dans le théâtre devenu depuis quelque temps nouvelle salle du conseil (la vie politique mérite bien un théâtre…).
Au cours de ce conseil, une petite phrase a été prononcée, sans rapport avec l’ordre du jour, hors sujet. Une petite phrase passée comme inaperçue, sauf du seul élu, ici, à posséder une réelle culture politique, le seul à être réellement politisé (c’est pas un gros mot, bien au contraire) : Jean-Luc Morisset (élu de la minorité), que ces mots ont bien évidemment offusqué.
« S’il y avait eu une manifestation de policiers à Poitiers (sous-entendu : en même temps que celle qui avait lieu à Paris), j’y serais allé avec mon écharpe de maire. »
Ces mots, à peine prononcés, sitôt envolés dans leur légèreté plombée, que nous disent-ils ?
Se rendre à cette manif en arborant l’écharpe de maire signifie qu’on met cette écharpe au service de syndicats de police soutenus par l’extrême-droite. Ce qui nous en dit un peu plus sur la compatibilité de notre maire avec une extrême-droite dans laquelle s’est peu à peu diluée toute la droite. Pour un maire qui, à chaque élection, se clame « sans étiquette », ça permet de le situer un peu mieux sur l’échiquier politique. D’autant plus intéressant au moment où il est à nouveau candidat à une autre fonction, celle de conseiller départemental au sein de l’actuelle majorité au département. À ce propos, pour préciser encore mieux le positionnement politique du candidat, il suffit de se pencher sur ses colistiers : la remplaçante est la 1ère adjointe du conseil municipal de Vouneuil-sur-Vienne, conseil qui compte parmi ses premiers adjoints la candidate FN aux dernières législatives sur la 4e circonscription de la Vienne !
Ce qui m’a choquée dans la prise de position du maire, c’est qu’elle ait eu lieu pendant une séance de conseil municipal, donc clairement dans le cadre de ses fonctions de maire. S’il avait pu, il se serait donc rendu à cette manif en portant « son » écharpe de maire, c’est-à-dire en tant que représentant des habitant-e-s de la commune qu’il administre. C’est par conséquent en notre nom à nous, chauvinois et chauvinoises, qu’il se serait positionné ainsi ! Comme si nous avions donné mandat à un élu d’extrême-droite !!
Une fois encore – et cette fois plus que jamais – je me suis demandé s’il a une réelle conscience de la posture requise par la fonction pour laquelle il a été élu ! Comment pourrait-on, nous habitant-es, se sentir représentés par un homme qui n’a aucun sens du symbole que constitue l’écharpe de maire ? Elle ne lui appartient pas, même s’il la porte depuis (trop) longtemps. Elle lui est confiée par ceux et celles qui l’ont élu et elle exige de celui qui la porte un minimum de dignité.
La dignité et le calme, la posture de représentant de la population, la culture politique, la vision, le courage, le sens des urgences de notre temps (sociales, environnementales et démocratiques), l’écoute des citoyens et citoyennes – y compris de ceux qui ont des idées différentes – tout ceci qui, à mes yeux, est essentiel à un élu, tout ceci manque au maire de notre commune. Il vient à nouveau de le démontrer.
Ce qu’il montre aussi, par cette petite phrase, c’est qu’il ne se sent plus aussi fort. Lors du dernier conseil du mandat précédent (où se tenait un public nombreux, pour une fois), il disait n’avoir jamais vécu un mandat aussi difficile, déplorant une opposition non constructive (alors que c’est lui qui tient les élus minoritaires à l’écart de tous les projets communaux !). Et depuis le début de ce mandat, maintenant que les élus minoritaires sont aujourd’hui répartis en 2 groupes et que son opposition est clairement dans la rue, on le sent affaibli (il perd de plus en plus souvent ses nerfs…). N’est-ce pas le signe des faibles que d’aller se fortifier derrière les forces de l’ordre ?
Et que dire quand il s’agit des forces d’un nouvel ordre, qu’on voudrait faire advenir et qu’on nous annonce à la fois comme inévitable et comme la seule solution au désordre (si bien organisé) ?
Au lieu du positionnement public que j’avais espéré, ces 3 dernières années, contre les violences policières subies par les gens dans la rue (particulièrement les Gilets Jaunes), on constate aujourd’hui où se trouvent les élu-es : on a vu un certain nombre d’écharpes dans la manif indigne du samedi 15 mai.
Marie Mai, 24 mai 2021
merci de ce texte et de cette analyse