Par Vienne Nature

« Madame, Monsieur,

Vous êtes appelés à vous prononcer sur le protocole des réserves de substitution. Ce protocole détermine pour les 30 années à venir la gestion de l’eau sur le bassin du Clain.

Notre territoire est caractérisé par deux situations particulières. D’une part l’eau extraite de la nappe profonde réservée à l’alimentation en eau potable est chargée de molécules, notamment le fluor, ce qui oblige à une dilution avec les eaux de la nappe superficielle pour être utilisée. Ainsi les principaux usages, qu’il s’agisse de l’alimentation en eau potable, le soutien des cours d’eau, l’irrigation agricole, se retrouvent en concurrence pour prélever dans la nappe superficielle. D’autre part, il est reconnu que nos nappes ont une capacité modeste et insuffisante pour répondre à l’ensemble de ces usages.

Ce protocole propose de prélever principalement dans les nappes, au moment de leur recharge, 8 M m3 qui s’ajouteraient aux 8,5 M m3 déjà autorisés en hiver pour remplir les plans d’eau pour l’irrigation et l’arrosage de cultures. Dans les années à venir, nous le savons tous, la situation de sécheresse de l’année 2022 sera fréquente. Cette recharge hivernale se fait de plus en plus difficilement depuis quelques années, hors l’hiver 2021-2022. Qui peut dire aujourd’hui que cette recharge est garantie pour remplir les réserves en hiver et maintenir le débit des cours d’eau en été ?

Ces 8,5 M m3 devaient permettre de supprimer le volume de prélèvement équivalent en été pour soulager les milieux. Mais le protocole prévoit qu’une partie de ces volumes disponibles seront attribués aux adhérents des SCAGE non raccordés aux réserves. Nous assisterons donc à une augmentation des prélèvements pour l’irrigation. Selon ses premiers résultats, l’étude HMUC (Hydrologie Milieu, Usages, Climat) commandée par le Conseil Départemental et l’EPTB Vienne, le recours inévitable à des seuils visant à ne pas compromettre la recharge des nappes empêchera les prélèvements de volumes potentiellement mobilisables. Le recours à des prélèvements hivernaux massifs ne sera possible qu’au prix d’une mise en danger de la recharge des nappes, donc de l’alimentation en eau potable.

Cette augmentation des prélèvements (annexe 1) ne bénéficiera qu’aux irrigants adhérents des SCAGE, soit 50 % des irrigants, sans se préoccuper de l’approvisionnement en eau potable des habitants de votre territoire, des milieux aquatiques de vos communes et sans répondre aux besoins en eau de l’ensemble de la profession agricole et tout particulièrement des irrigants non adhérents aux SCAGE.

Ces prélèvements énormes que nous promet le protocole sont-ils une réponse sérieuse à la pénurie d’eau qui touchera tous les habitants du bassin du Clain ? Des solutions restent à explorer pour répondre de manière plus durable à l’ensemble des usages du territoire, elles doivent être étudiées et déployées. Notre communiqué interassociatif de 2020 (annexe 2) propose le pari suivant : maintenir les volumes d’irrigation actuels, peut-être soutenus par quelques petites réserves bien placées d’un point de vue écologique et développer les cultures spécialisées, les cultures vivrières de proximité d’une part et irriguer les grandes cultures telles le blé, l’orge, le colza, le tournesol et les protéagineux. Cette hypothèse serait réalisable au prix d’une diminution des surfaces cultivées en maïs. L’importante économie publique ainsi réalisée pourrait être consacrée à la restauration des cours d’eau et zones humides de façon à retenir l’eau dans les sols et à l’accompagnement de l’adaptation de tous aux économies d’eau.

Sur le bassin du Clain, l’eau potable est dégradée de manière permanente par les pollutions diffuses des nitrates et des pesticides. Un « choc de connaissance » majeur en matière de pollution de l’eau « potable » par les pesticides a été décrit dans le journal Le Monde : il est dû à la prise en compte récente des métabolites des pesticides dans les analyses. M. le Président d’Eaux de Vienne, lors du comité consultatif des usagers, le 13 septembre 2022, a souligné qu’il pourrait changer la donne dans la Vienne où la présence dans l’eau distribuée de molécules probablement cancérigène se révèle plus importante qu’on ne le croyait. Cette situation est aggravée par le fait que les solutions de court terme n’apportent plus la réponse suffisante en matière de sécurité sanitaire.

Des millions d’euros sont et seront consacrés au traitement de l’eau pour la rendre potable. Des modèles d’agriculture utilisent peu, voire pas du tout d’intrants. D’autres modèles en utilisent beaucoup. Par quels modèles seront utilisés ces énormes volumes d’eau ? Financés en grande partie par de l’argent public et en particulier par l’Agence de l’eau Loire Bretagne, il serait légitime que ce projet permette d’améliorer la qualité de l’eau potable. Les contreparties annoncées dans le protocole sont-elles garanties, efficaces et compatibles avec des modèles qui s’appuient sur le rendement et non sur la qualité ? Des dérogations au règlement d’irrigation sont fréquentes, avons-nous la garantie que la mise en œuvre du protocole les exclura ? Les modèles respectueux des sols et de la ressource en eau bénéficieront-ils de l’eau des réserves ?

Vos habitants s’attachent de plus en plus à la qualité des produits alimentaires et à des productions de proximité. Leur santé et celle de la planète en dépendent. Les surfaces des productions alimentaires du bassin du Clain sont dérisoires par rapport aux productions exportées. Des projets alimentaires territoriaux se mettent en place. Ce projet de réserves permettra-t-il d’accompagner leur développement et de bénéficier aux besoins des habitants ?

Ce protocole qui vaut « Projet de territoire » aurait dû se conformer à l’instruction gouvernementale du 7 mai 2019 et s’appuyer sur un diagnostic des ressources disponibles, un état des milieux les plus menacés par la sécheresse, un état des besoins actuels et futurs pour chaque usage, une étude de plusieurs solutions, assortie de leur évaluation économique. Sans ces préalables, comment s’assurer que le dimensionnement des réserves est adapté ? Que les emplacements choisis pour les réserves soulageront les milieux les plus fragilisés ? Comment évaluer le retour sur investissement de la solution proposée ? Ce protocole est-il un véritable outil de gestion de l’eau sur le bassin du Clain ou seulement un projet de gestion de l’irrigation ?

Nous tenions à vous faire part de cette série de questions auxquelles le protocole ne répond pas, bien qu’il s’agisse d’un projet déterminant pour l’avenir du bassin du Clain et de ses habitants. Nos préoccupations sont réelles, hors de tout dogme et nous sommes ouverts à tout échange sur des solutions, y compris celles qui incluraient des réserves.

Il est primordial, pour maintenir la confiance entre les citoyens et les élus, qu’un projet d’une telle ampleur prenne en compte toutes les données et que vos avis puissent être justifiés et diffusés à tous.

Nous tenant à votre disposition pour vous rencontrer, veuillez agréer Madame, Monsieur, nos sincères salutations citoyennes.

Fontaine-le-Comte, le 29 septembre 2022

Le conseil d’administration de Vienne Nature« 

Rédaction

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