Retour de voyage en décadence. Fin de mon tryptique sur le Tour de France.

Tôt ce matin du 10 septembre, je pars explorer le nouveau décor – éphémère mais tapageur – de Chauvigny. Dès les abords du centre-ville, je me sens dans la peau d’une visiteuse du futur, envoyée contempler la fin d’une civilisation. À l’échelle du centre-ville d’une petite commune, le dispositif est énorme. Monstrueux et invasif. Il est surtout ridicule, vide et grotesque jusqu’à l’absurde. C’est un décor. Tout y sonne faux et vain. Tout ce qui s’y passe est de l’ordre du jeu et du spectacle.
Du bruit, beaucoup de bruit. Une sono qui hurle des chansons auxquelles personne ne prête attention, entrecoupées des consignes sur les gestes-barrière énoncées par une voix d’outre-tombe et des annonces de propagande des marques présentes. Des « animateurs/trices » qui surjouent leur rôle jusqu’à la caricature pour distribuer avec une joie factice des GOODIES (traduction : petits objets polluants et inutiles portant des logos et enveloppés, pour la plupart, de plastique). Les stands officiels du TDF, à qui ça ne suffit pas d’avoir piqué près de 100 000 € aux contribuables chauvinois, vendent des T.shirts jaunes à 10 €. Beaucoup des marques présentes se sont bien évidemment repeintes en vert : y’a du bio et de l’attention à l’environnement partout !
Les commerçants qui ont la chance d’avoir des boutique situées au cœur de ce méga-barnum arborent fièrement les tenues du Tour, en comptant déjà les fameuses retombées – j’ai pu noter une belle inflation sur le prix des croissants (+ 50 %)….
Une « fête populaire », nous ont dit les élus. Perso, je n’appelle pas « populaire » un endroit dont une grande partie est privée et réservée à des « invités et VIP » (Very Irresponsible Person ?). Les 2 grandes places sont presque entièrement occupées par un endroit appelé « Village du Tour » (cerné par des grilles) dont, en tant que plouc, je ne peux franchir l’entrée, parce que non munie d’un smartphone où aurait été dûment enregistrée l’invitation officielle. J’ignore donc ce qui se passe à l’intérieur, ce qu’on peut y voir – sauf ce qu’une vidéo de la presse locale nous en montrera : un grand-duc échappé du « Château des Aigles », sans aucun doute emblématique des visiteurs accrédités de ce « village », c’est-à-dire… des grands ducs et des aigles ! N’étant ni l’un ni l’autre, je me contente donc des abords du podium, mais effrayée et assourdie par les annonces et commentaires hurlants d’un speaker sous excitants, je vais me balader aux alentours des barrières de la rue centrale, derrière lesquelles s’amassent les gens non VIP….
Je me suis réveillée, ce lendemain de « grande fête populaire », avec un sentiment de colère. Quand on a vendu son cerveau à une marque de soda et à une grande chaîne de télé, il ne reste sans doute rien d’autre à faire que de se rassembler derrière des barrières et de bousculer ses voisins, avec des cris hystériques, en se jetant, comme des chiens sur un os, sur les saletés balancées, au compte-goutte, par les chars ridicules de la caravane propagandiste du TDF, et d’arborer fièrement les bobs, casquettes et T.shirts que vous porterez en faisant gratuitement de la pub pour ces suppôts du capital ? La dignité s’achète pas – j’ai d’ailleurs pas vu de char qui en faisait la pub….
J’ai regardé ce décorum comme un genre d’allégorie de notre monde : une élite enfermée entre des grilles, se réjouissant, se congratulant et se félicitant du tour (Tour) qu’ils nous ont joué, et les gens du peuple, contenus derrière des barrières, qui se contentent de miettes et s’amusent et se distraient avec les quelques jouets qu’on leur jette et qu’ils se disputent. Détails importants pour rendre ce tableau plus complet : l’omniprésence des forces de l’Ordre (brigades cynophiles, hélicoptères et motos de la gendarmerie, robocops sur-armés….) et tous les visages muselés par l’accessoire obligatoire du moment.
Rien de réjouissant à ce voyage en décadence – la décadence n’est romantique que dans les films ou les tableaux. Ce monde finissant tente encore de survivre, tout est bon pour gratter encore quelques dollars. Et faire comme si tout allait bien, comme si on pouvait continuer à vivre « comme avant ».


Marie Mai – 11-09-20

« Ce que tu ne peux pas dire, ne le garde pas en toi, écris-le« , Jacques Derrida. Merci à web86info de rendre ça possible.

Dom

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