Ce mercredi 19 décembre, l’IEPOP (l’Institut d’Études Populaires de Poitiers) a organisé au Biblio café une « soirée participative » sur le fameux thème des gilets jaunes. Quand on en ressort, l’esprit cogite et on a envie de faire un tas de choses. Allumer BFMtv n’en fait pas partie.
L’arrière-salle du Biblio café est bondée de citoyens serrés entre les petites tables rondes, les voisins et les bouquins. Pas mal de journaux indépendants sur le mur du bar : Fakir à côté du Monde diplomatique, des valeurs sûres.
Les animateurs répartissent la salle en quatre tables. Un sujet autour des gilets jaunes est distribué à chacune, les participants débattent un temps par tables. Le nôtre était assez général : « Que peut devenir le mouvement ? » On se rencontre en débattant, en trouvant une brèche pour réagir à son tour, écouter le tour que prend la conversation. La plupart sont des visages inconnus, d’autres disent vaguement quelque chose. Croisés à des manifs, peut-être, ou dans le bus.
Je me retrouve par hasard entre deux femmes qui se présentent comme gilets jaunes, des femmes qui travaillent et vont surtout rejoindre le mouvement le samedi.Nous étions pour la plupart des soutiens à leur cause, c’est pourquoi nous avons écouté tout particulièrement l’expérience sur le terrain de l’une des jeunes femmes. Elle y avait passé, précisait-elle, « des heures et des heures » sur le rond-point. Elle en parlait comme d’autres d’une ville. Avec beaucoup d’émotion dans le regard, elle évoque tout ce que lui apporte cette lutte sociale, clairement pas achevée pour elle. Elle raconte comment elle a quitté le rond-point d’Auchan-Sud pour celui du Mignaloux-Beauvoir, plus structuré.
Même parcours pour l’autre femme gilet jaune qui arrivera quelques minutes plus tard. Même détermination aussi, déconcertante presque. Ce qui provoque le trouble de la jeune femme qui témoigne, c’est le lien social et humain qui s’est tissé entre eux. Quand on l’écoute, on a en tête la parole d’un autre gilet jaune dans ce reportage de Là-bas si j’y suis :
« Je fais pas de politique, je suis pas plus militant que ça, j’ai acquis une richesse humaine et sociale qui me dépasse aujourd’hui et c’est pour ça que je vais continuer. »
Parce que, précise la gilet jaune, ce qui est « beau », aussi, c’est aussi cette correspondance entre tous les ronds-points de France (et ailleurs).
C’est même ce pourquoi elle continue, sans manifester la moindre trace de fatigue. Ce n’est donc pas une légende urbaine, cette histoire de fraternité des ronds-points. Celui de Mignaloux-Beauvoir est touché aussi. Je demande à la fille si la vie pourra redevenir comme avant après ça. « Ah non non », la réponse fuse aussitôt, assurée. Les germes sont posés.
Vient le moment des échanges entre les tables. L’animatrice fait circuler les micros. Des étudiantes en sociologie, des retraités, des précaires interviennent sur le sujet « Pourquoi de “braves” gens sont-ils devenus “enragés” ? ». En vrai, la violence est un sujet inévitable, mais presque un non-sujet, tant tous les participants sont à mille lieues du niveau au ras des pâquerettes des éditorialistes stars des plateaux : on est loin, loin, des « raisonnables » contre les « méchants casseurs » : la violence est avant tout « mépris social de l’État ». Verdict approuvé à l’unanimité, net et clair.
Une autre question qui se pose, c’est la possible convergence ou non des gilets jaunes avec les syndicats. L’une des animatrices demande s’il n’y a pas « confusion » à ce sujet, entre vouloir du soutien des syndicats sans vouloir de leur présence. La réponse d’une maman gilet jaune à côté de sa voisine syndiquée, là encore, réagit aussitôt : les dirigeants syndicalistes sont le symbole « encore », précise-t-elle, d’une élite « qui milite pour la même élite ». Mais sa voisine syndiquée qui fait feu de tout bois de justice sociale, rien à voir bien sûr avec les « élites », c’est une camarade.
Mais probablement que tout le message de fraternité entre les gilets jaunes, ce petit truc qui fait que c’est grâce à eux, à tous ces précaires, qu’on se retrouve à causer répartition des richesses ce mercredi soir au milieu des bouquins et des bières, c’est encore cette jeune femme gilet jaune qui s’en fait l’écho lorsqu’on lui tend le micro à propos des heures passées sur le rond-point :
« 70 à 80% des véhicules qui klaxonnent, donc c’est pas rien, on n’est pas-là pour rien. »
C’est des petites soirées comme ça qui font qu’en sortant on se dit, qu’effectivement, plus rien après, quoi qu’il arrive, ne sera comme avant.
Alice Lebreton
» les dirigeants syndicalistes sont le symbole « encore », précise-t-elle, d’une élite qui milite pour la même élite »
Merci de dire ce que je n’avais pas osé, et cela d’autant que je puis ajouter:
LETTRE AUX CONTEMPTEURS DES GILETS JAUNES
Si les syndicats et partis de gauche qui s’observent ne s’engagent pas (n’est-il pas trop tard), au mieux, sans penser au pire, les libéraux de « gauche » repousseront les ultras. Mais dans les deux cas, l’espoir d’une société où la gestion de la production stratégique serait l’attribut des producteurs et celle des services (banques assurances…) nationalisée, sera encore remis aux calendes grecques ; aussi peut-on supposer qu’une gauche hypocrite n’a jamais dépassé l’ambition d’être la « meilleure » dans l’opposition.
Comme le poète, la foison des gilets jaunes nous fait deviner l’horizon caché derrière le nuage antisocial qu’il nous faut balayer, en s’engageant et méprisant ceux qui essaient de décrédibiliser notre mouvement. Amertume ou jalousie ne saurait longtemps expliquer que les organisations censées défendre la Justice sociale restent embusquées.
Jacques TOURET 25/11/2018