Le basculement des savoirs-faire pratiques et concrets vers des processus optimisés et automatisés a transformé notre temps biologique en mesures cadencées par les machines. Ces techniques autoritaires, produisant des artefacts sans vie, confisquent notre liberté et accélèrent notre vieillissement. L’expérience vivante et artistique passée est remplacée, aujourd’hui, par une aseptisation du monde et de nos esprits via la technocratie.

Nous devenons donc abstraits et artificiels au monde qui nous entoure. Réduit à n’être qu’un rouage de la mégamachine, les technologies répondent implicitement à la question de la vie bonne pour les êtres humains. Les hauts fonctionnaires, les cadres et les ingénieurs confisquent la démocratie et l’action politique ne se résume qu’à verdir un univers devenu synthétique. Dans un monde technicisé seul la puissance et la performance comptent au final.

Les guerres s’ « internetionalisent ». La propagande est diffusée via les réseaux sociaux, les drones pilotés à distance détruisent les immeubles et les chars pendant que le droit international ne se résume, dans la bouche des nouveaux dirigeants impériaux, qu’à l’acceptation de nouvelles conditions d’utilisation comme vous l’imposeraient les GAFAM. Les technologies de communication ne libèrent donc pas les liens sociaux mais accentuent les tueries des états-empires.

Les mines produisant les métaux qui nourrissent les technologies zombies sont les futurs charniers de nos vies fantômes. Devenu êtres déchets, nous nous déplaçons dans des espaces urbanalisés, non en fonction de ce que l’on voit mais de notre GPS. Le présent n’est plus vécu comme une pré-histoire mais comme un délai où notre vie sociale, illusionnée par les IAs, ne se résume qu’à attendre la date de péremption.

Notre système industriel a donc instauré le règne de la pensée séparée des actes. Il a créé un monde où les ingénieurs réfléchissent et les travailleurs mettent en œuvre concrètement leurs idées. L’hypertrophie du travail objective la destruction et atrophie notre éthique. Tout le monde sait que le
bateau est troué et que le capitaine ment, mais nous naviguons joyeusement vers l’ile perdue. Tel un
cheptel humain devenant locataire de sa propre existence, nous faisons réseaux, d’IP à IP.

La postmodernité érige la puissance comme une valeur et la performance comme une fin

Aujourd’hui, il nous faut plus que jamais abandonner les mythes de la libération par l’automatisation des machines et le numérique. Il nous faut réaccorder nos actes à notre pensée afin de ne plus être dépossédé. Ne plus ronger le globe terrestre limité comme des vers mais se réapproprier de manière démocratique nos outils. Freiner les déferlements technologiques et démanteler les technologies de contrôle pour minimiser les bouleversements des cycles biogéochimiques.

La pulsion inlassable de la société moderne vers l’innovation et la dynamisation incessantes sape notre capacité d’atténuation et notre adaptation créative. Schizophrénie prométhéenne, nous sommes capables de détruire à coups de bombes des centaines de milliers d’humains, mais nous ne savons ni les pleurer ni nous en repentir. Déracinés, notre vie citadine munie d’ordinateurs et d’algorithmes, ne se résume qu’à suivre maps dans un fond sonore omniprésent.

Nous devenons obsolescents à nous-même, standardisés, dépassés. Devenu abstrait au vivant, notre faculté psychique et sociale à admettre une limite et à la respecter a été anéantie. Ce n’est pas la main invisible du marché qui régule le monde mais bien celle de la catastrophe. Le moyen devenu une fin en renverse la morale, ainsi Hiroshima et Auschwitz en sont des condensés de notre modernité. Tous nos concepts moraux on était gazé à Auschwitz et atomisé à Hiroshima.

Pour ne plus servir la technique de destruction, qui met l’individu à son service, le transforme comme moyen pur, chose, instrument, marchandise, il nous faut reconquérir notre liberté, de la façon la plus conviviale et collective possible. La technique étant pharmakon à la fois remède et poison, il nous faut répondre à l’infini des techniques autoritaires, qui rendent possible l’immonde, par la finitude des techniques démocratiques, qui rendent possible l’idée d’un monde.

Le plein matériel industriel génère donc du vide humain et virtualise les conditions d’existence humaine. Le monopole de la mégamachine détruit les savoirs-faire, les savoirs-désirer mais aussi les savoirs-penser. Tous ces artefacts fracturent les liens et amènent à l’insignifiance. La bêtise se systématise au sein du techno-capitalisme consumériste. Les sociétés incontrôlables se remplissent d’individus désaffectés, où les activités cognitives sont prolétarisées par les machines numériques.

Stopper l’insignifiance

Silencieusement, une formidable régression s’est mise en place : une non-pensée produisant cette non-société, un racisme social. Or pour marcher d’une manière libre, égalitaire et juste, la société capitaliste doit mourir et la technique doit être démystifiée. La fétichisation de la puissance économique et echnique, si elle ne s’arrête pas, dissoudra la Nature et les humains avec. Bien que distrait par les médias, notre univers n’est pas artificiel et notre existence ne se délègue pas.

Rejeter l’univers synthétique et technicisé qu’est devenu notre monde, en l’espace de seulement deux siècles, est une nécessité. Se refuser à la résignation et maintenir l’espérance de le démanteler est un objectif. Agir de façon fédérer pour sortir de la reproduction de l’ordre techno-industriel est un moyen. Révolutionner nos valeurs et aspirations peut permettre un changement de civilisation. Proposer d’autres manières de vivre, de travailler et de faire société est une fenêtre de possibilités.

Défaire les communs négatifs pour faire communs donc. Poursuivre les luttes défensives pour sauver ce qui peut encore l’être, sans se faire d’illusions, et agir pour fédérer des places de villages autogérées et auto-instituées. Remplacer les technologies zombies par des savoirs-faire artisans et refuser de parvenir pour toucher les confins de notre monde encore vivant. S’engager sur ce chemin de crête peut être une façon de préserver sa dignité en tant que sujet humain.

Face à l’absurde d’une civilisation mortifère et nécrophile prenant comme symbole la chute, le suicide, la médiocrité et l’échec, l’humanité ne peut pas rester amorphe. Face à l’effondrement de la vie et ‘étiolement de la beauté, à la privatisation des cieux et de la liberté, le règne des ingénieurs et des milliardaires doit cesser. La civilisation pousse donc son dernier cri et dans cette veulerie émétique d’une société malade, le futur doit être considéré dans son altérité par rapport au présent.

Car les changements incertains qui fondent le temps produiront nécessairement un futur autre.

« L’humanité emploie sans compter tous les individus comme combustible pour chauffer ses grandes machines : mais pourquoi donc les machines si tous les individus (c’est à dire l’humanité) ne sont bon qu’à les entretenir? Des machines qui sont leur fin à elles-mêmes, est-ce là l’umana commedia ?»
Friedrich Nietzsche

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D’autres textes de Abel Tocallu ici : https://web86.info/?s=Abel+Tocallu

Rédaction

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