Après les gilets jaunes à l’écran, portrait de celles et ceux devenus gilets jaunes en BD. Le reportage a suivi les familles précaires pendant deux ans : s’il se superpose à l’actualité, c’est parce que le journaliste Vincent Jarousseau y traquait le quotidien des familles précaires dans une ville du nord, à Denain (« Demain n’est pas la France. C’est l’une des villes les plus pauvres de France »).

On suit les bulles de ses habitants, leur galère, leur intimité aussi, disons que les deux se répondent forcément.  Mais voilà, ce documentaire photographique coûte 22 euros, une somme quoi. Cet article signale son existence, parce que ça aurait pu se passer n’importe où dans la Vienne, d’autant que le journaliste axe son reportage sur le mal premier de ceux qui sont devenus gilets jaunes : l’éloignement de tout, à commencer du travail, et en même temps l’obligation du déplacement.

« L’autre y dit qu’on coûte un pognon de dingue, mais moi j’ai besoin d’argent. Il faut tout accepter. Là, je vais sur un chantier, c’est payé 80 euros la journée mais ils paient pas mon transport alors je fraude. »

Cet aspect n’est pas le seul exploré à travers le quotidien de ces familles, mais il revient sous différentes formes dans chacune d’entre elles, comme un poids inévitable. Si Vincent Jarousseau avait passé deux ans chez les Poitevins, il aurait entendu des sommes de détails récurrents sur le mode de vie des familles précaires :

« Le mouvement des Gilets jaunes a mis en exergue le fait qu’une partie du pays ne s’intéresse plus réellement à l’autre partie. Celle qui a du mal à boucler les fins de mois, celle dont le quotidien est bouleversé par la raréfaction de l’emploi et son éloignement, celle qui ploie sous la fatigue de devoir faire des centaines de kilomètres pour s’en sortir »

Peut-être qu’aujourd’hui ces mots pourraient risquer de paraître comme une évidence un peu plate, tant et tant on aura entendu ce discours depuis le 17 novembre. Mais la langage qui ne peut pas se ramollir, ce sont tous les bouts de discours dans les petites bulles des photographies. De belles photographies : le jeune homme précaire matinal derrière le hublot du train, obligé de frauder pour faire sa journée. Auréline, 11 ans, en vélo derrière sa grand-mère pour aider bénévolement à l’Ephad. Tanguy, 20 ans, dans la vieille Fiesta, au volant de son rêve d’enfance, exaucé grâce à l’accumulation des jobs d’été. Quant aux bribes de témoignages des personnages, c’est le propre des discours forts : un sentiment de déjà-vu, mêlé à l’expérience intime de tel personnage : peut-être son parcours ressemblera-t-il à bien d’autres, mais son visage ne peut pas se calquer sur un autre, ses marques lui sont propres.

Il faudrait voir ce que cela produirait, si ceux qui ont ressenti le besoin d’enfiler le gilet jaunes à Poitiers possédaient un lieu d’expression, sous une forme ou une autre, si on pouvait les suivre régulièrement comme on le ferait d’un personnage de livre ou de série, tout ce qu’ils feraient jaillir juste en racontant des bouts de leur quotidien.

Alice Lebreton



Rédaction

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