C’est quoi la justice ?
Si un enfant te pose la question, tu dois y réfléchir car c’est une pièce maîtresse de notre univers social. Où en sommes-nous en cet été 2019 ?
Le procès de Peggy : les faits du 16 mars jugés le 25 juin 2019.
Le procès a lieu à la nouvelle Cité Judiciaire de Poitiers. La salle d’audience est pleine de Gilets jaunes venus manifester leur soutien à Peggy, accusée de diffamation pour avoir, au cours d’une manifestation le 16 mars 2019 devant l’ancien Palais de Justice, dénoncé au porte-voix la brutalité avec laquelle la BAC avait à plusieurs reprises interpelé des membres de sa famille. Comme elle connaissait les noms des fonctionnaires dépositaires de l’autorité publique , elle les a prononcés, ce qui lui a valu des interrogatoires au Commissariat et ce qui lui vaut d’être ici inculpée.
L’arrestation de Thierry : le 22 décembre 2018, c’était une manifestation tranquille.
Peggy parlait de plusieurs interventions de la « brigade anti-crime » mais dans leur plainte en diffamation, les fonctionnaires n’ont retenu que l’intervention, le 22 décembre 2018, pour arrêter Thierry, son mari, père de leurs 7 enfants.
Thierry avait eu le tort auparavant de ne pas apprécier d’être filmé et d’avoir fait vers la caméra un geste qui a été jugé injurieux. L’arrestation a été exécutée au cours d’une manifestation au rond-point sud de Poitiers. Thierry n’a pas opposé de résistance mais il est grand et fort : ils étaient 6 policiers pour l’entourer, le jeter à terre et exercer des « points de compression» afin de le menotter.
Une vidéo rend compte de la tension brutalement introduite dans la manifestation tranquille par les « forces de l’ordre » et un certificat médical rend compte des coups reçus par Thierry. D’autres témoignages auraient pu être produits mais la Cour ne les a pas souhaités (?).
Peggy sera accusée de mauvaise foi et de malhonnêteté intellectuelle par la partie civile parce qu’elle se fonde sur ses souvenirs et sur l’émotion qu’elle a éprouvée. Elle parait bien fragile derrière la barre des accusés !
Plaidoirie de la Partie Civile : « Nous sommes entre adultes »
L’avocate des 2 fonctionnaires met en avant le professionnalisme de ses clients que Madame la Présidente interroge : « vous n’avez donc fait qu’appliquer la procédure en vigueur ? – oui ! »
Mais – question naïve – : est-il normal justement qu’une telle procédure soit en vigueur ? Est-il légitime qu’un citoyen soit aussi brutalement sommé de se soumettre à la chaîne de commandement d’une autorité qui est en train de faire la démonstration historique de sa radicale iniquité ?
Thierry ne se rebiffait pas, il voulait juste parer les coups. L’avocate d’une voix qui se perche haut, revendique le respect et même la compassion pour ses clients. Elle excuse la violence de l’intervention : « Nous sommes entre adultes » dit-elle. Qu’est ce que ça veut dire ?? Les adultes devraient mettre leur idéal de justice dans leur poche face à la « real politic » ? et sinon il faut les condamner pour « enfance prolongée » ?
Inversant les rôles, l’avocate dénonce le « climat délétère » (sous-entendu « créé par les Gilets Jaunes » ??) dont souffrent ses clients. Leurs noms et leur honneur sont « jetés en pâture » à la rumeur. Un site des Gilets Jaunes dénonce « police et justice de merde » – mais ce n’est pas l’accusée Peggy qui dit cela.
Toute une partie du pays s’indigne d’un ensemble de dysfonctionnements et d’abus de pouvoir et les 2 plaignants portent vigoureusement main forte à cet ensemble répressif. L’un d’eux a nettement montré qu’il fait plus qu’obéir à ce système, il en rajoute en lançant : « race de mort ! » Les insultes raciales font-elle partie de la « procédure »? Le même se plaint de l’image qu’a de lui sa fille… mais c’est un miracle que les jeunes générations se démarquent du mépris de classe ! Honneur à cette jeune fille !
Peggy l’a dit nettement : elle regrette que ses paroles aient porté préjudice aux enfants des plaignants. Mais la plainte elle même ajoute au préjudice. Beaucoup comme moi ne retiennent les nom des plaignants que depuis l’annonce du procès, et nous découvrons leur visage au sourire métallique et crispé. C’est une étrangeté à noter : plus on répète le nom de ces fonctionnaires et plus l’opprobre pèse sur eux, tandis que plus on connaît Peggy et Thierry, plus on les trouve attachants et dignes de solidarité. Comment expliquer ce verdict populaire ??
Réquisitoire : « Nous ne faisons pas le procès des Gilets Jaunes »
Madame la Procureur annonce en préalable : « Nous ne faisons pas ici le procès des Gilets Jaunes ». Ah bon ? Il ne s’agirait que de destins individuels détachés de tout lien avec la situation historique ? Ce serait pour rien que Peggy et son mari mettent toutes leurs forces dans la balance ? Ils n’ont aucun motif à vouloir changer les rapports sociaux ? C’est pour rien que nous étions là dans la salle d’audience ? C’est vrai, à en croire les rappels à l’ordre à chaque rire et à chaque murmure pourtant étouffés, que notre présence était sentie comme un obstacle à l’exercice impartial de la justice. Mais de quelle justice ?
Une justice nettement de classe. Les fonctionnaires qui se plaignent des atteintes portées à leur image sont insensibles à la réalité de la pauvreté dans laquelle certaines familles se débattent, pire : l’entrevoir excite leur violent mépris. Et si c’était ça, le mobile profond des Gilets Jaunes : refuser le mépris venu du fond des âges et qui ne fait que s’exacerber , « décomplexé », de nos jours, malgré les belles déclarations de façade ?
Plaidoirie de la Défense : « la Justice est manipulée»
L’avocat de la défense lance comme un pavé dans la mare la lettre écrite par le supérieur hiérarchique des plaignants. La lettre adressée aux membres de la cour leur demande de se mettre à la place des 2 loyaux fonctionnaires. Et pourquoi ne se mettraient-elles pas plutôt à la place des parents acculés à la pauvreté ??
L’avocat a d’autres preuves de la mise en déséquilibre de la Justice. Suite aux brutalités subies et à l’insulte raciste, Thierry a annoncé qu’il porterait plainte. Et il l’a fait mais les fonctionnaires de police du Commissariat… n’en ont pas gardé trace !
Par contre, la plainte en diffamation de ses agresseurs prend déjà effet devant nous : du 16 mars au 25 juin 2019 que voilà une justice empressée à punir le manque de respect porté à « l’autorité publique » ! Même si, comme dans ce cas, la dite « autorité publique » fait preuve d’iniquité.
Le verdict de ce procès est mis en délibéré :
La Cour est invitée par la partie civile et par la hiérarchie policière à ne tenir compte que des individus et des définitions strictement légales de la diffamation. Mais sera-elle sensible aux raisons profondes du verdict populaire ? Il faudra attendre le 31juillet.
C’est quoi la justice ?
– quelque chose de très désirable … encore à inventer en cet été 2019.
nonna Maia