Poitiers Collectif a gagné haut la main la Mairie de Poitiers. D’après les déclarations des un-es et des autres, personne ne s’y attendait

Essayons pour l’instant d’analyser cette victoire inattendue.

Comme dans toute explication il y a plusieurs ingrédients qui se combinent.

Il me semble qu’il existe des éléments à Poitiers qu’on retrouve dans d’autres villes

Sans esprit de hiérarchie, un des premiers éléments est l’usure du baron local, ici socialiste. Il a gouverné la ville depuis 2 mandats en se coulant dans la concentration des pouvoirs de la V° République qui donne une majorité écrasante aux gagnant-es des élections municipales (50% des sièges+ le % obtenu), en fait le président de nombre de structures (Hôpital, etc.), concentre sur lui/elle seul-e légalement les nominations des responsabilités municipales (délégations des élu-es, le secteur dont s’occupe tel-le ou tel-le élu-e). La mobilisation de réseaux de certains quartiers votant traditionnellement « légitimiste », pour le maire sortant – à Poitiers notamment aux Couronneries et à Beaulieu – est symptomatique du rejet de cette politique autoritaire.

La défaite de cet ancien haut responsable du PS traduit l’affaiblissement de ce parti qui a été de toutes les privatisations, de toutes les adaptations au libéralisme depuis 1983. Les réseaux nationaux dont il bénéficiait jusqu’à peu lui avait permis de trouver les financements de la rénovation des Couronneries ou d’accéder au classement de Grand Poitiers en « communauté urbaine » (ce qui déclenche des dotations supérieures de la part de l’État) et non en « communauté de communes » alors que la ville n’est plus métropole de Région. Renouvellement des générations, manque de cadre du PS dans les principaux rouages de l’État, les réseaux s’étaient amenuisés.

Contrairement à ce qu’on pouvait espérer, l’électorat de droite ne s’est pas mobilisé pour le vote Claeys. Pourtant l’opposante de droite J. Daigre, avait déclaré publiquement son soutien au maire socialiste et une partie de LR avait menacé de porter plainte contre S. Houlié, le député LREM. Ajouté à son absence au deuxième tour, les LR se retrouvent dans une crise insondable à Poitiers, une profonde division, que l’existence de LREM ne peut qu’apronfondir.

C’est en partie l’affaiblissement de l’espace politique occupé par le Parti Socialiste qui a poussé EELV, au niveau national et à Poitiers aussi, à faire le pari d’occuper cet espace électoral. Mais d’occuper un espace plus grand encore, celui possible correspondant aux manifestations pour le climat, à la conscience qui monte de l’urgence écologique, peut-être aussi au dernier épisode du Coronavirus. Les élections ont confirmé de fait EELV comme représentante à elle seule de l’écologie politique, comme l’original alors que les autres partis apparaissent comme des copies.

Poitiers Collectif a fait le choix d’une communication électorale professionnelle ce qui lui a permis d’attirer un vote divers. Une partie des électrices et électeurs a voté pour la radicalité de Poitiers Collectif tandis que d’autres l’ont fait pour sa mesure. Le vote pour Poitiers Collectif a regroupé à la fois (« en même temps ») un vote de rupture et un vote de changement dans la continuité. À ce sujet L. Moncond’huy, s’est d’ailleurs placée dans la continuité plutôt que la rupture dans ses déclarations à la presse aux lendemains de son élection et a pris une directrice de cabinet proche de l’ancien président PS de la Région Poitou Charentes. Poitiers Collectif a réussi à faire passer l’idée que c’était avant tout un collectif citoyen quand, toujours en même temps, il regroupait aussi un cartel de partis. La candidate incarnait un renouvellement de la politique (femme, jeune) alors qu’en même temps l’élue régionale (alliance EELV/PS) faisait partie du saint des saints de la politique régionale : la commission permanente.

PCF et Génération.s (d’ancien-nes socialistes avec B. Hamon) ont accepté de se mettre dans la roue d’EELV à tel point que les commentaires journalistiques ne parlent que d’une victoire des Verts dans le cas de Poitiers. Il s’agit bien là de la tentative de construction, à Poitiers comme au niveau national, d’une « gauche plurielle » non plus sous hégémonie socialiste mais cette fois-ci sous hégémonie EELV (voir mon article d’avant le deuxième tour sur ce sujet)

Des échéances douloureuses

La plus grosse partie des budgets et des compétences sont concentrés au Conseil communautaire de Grand Poitiers et non dans le conseil municipal de Poitiers : transports et mobilité, eau notamment mais aussi gestion des personnels (d’où le soutien public de la CGT à Poitiers Collectif entre les deux tours). Les communes de Grand Poitiers ne sont pas sur la même longueur d’onde que la mairie de Poitiers dont les élu-es Poitiers Collectif à Grand Poitiers ne possèdent qu’une minorité de blocage. Il y a fort à parier que va devoir s’établir un consensus plus ou moins conflictuel entre les élu-es des 17 communes de Grand Poitiers, ce qui ne va pas aidé Poitiers Collectif a mener sa politique. On peut être sûr aussi que l’argument « Grand Poitiers ne veut pas » sera utilisé à bon ou mauvais escient.

De plus cette communauté urbaine est un « machin » puissant qui ne représente pas un bassin de vie. Le bureau des seules maires règle souvent les questions avant tout débat, y compris en dehors de tout débat au sein de leur propre conseil municipal. Les Conseiller-es communautaires ne sont pas élu-es au suffrage direct ce qui dépolitise ouvertement les choix qui y sont faits et prive le corps électoral de droit de regard sur ses enjeux notamment lors d’élections qui devraient être directe.

On peut légitimement penser que l’équipe municipale va changer un certain nombre choses dans la ville de Poitiers (plus de démocratie, verdissement, déplacements doux…) mais sera vite confrontée aux rapports de force engluant des institutions de Grand Poitiers et de l’État. Poitiers Collectif abandonnera-t-il la très en vogue « bienveillance » pour se coltiner l’affrontement politique nécessaire face à ou dans une majorité sans doute changeante en fonction des dossiers, notamment face à une crise sociale majeure qui commence ?

Enfin, la crise politique ne va pas s’arrêter là. Après la répudiation de « la forme parti » on a assisté au retour des partis lors de ces élections, partis qui offrent mémoire militante, budget, compétences techniques et lieux de débat. Un article sur ce site montrait que Poitiers Collectif a été élu par 13,71 % du corps électoral. L’abstention galopante, qui touche tout le pays et toutes les élections, bien qu’avec des intensités différentes, est lourd de menaces.

Une situation inquiétante

Il existe la tentation chez certain-es de constituer une nouvelle « gauche plurielle » à l’image de ce qui existait à l’époque de L. Jospin mais cette fois sous hégémonie verte, avec les yeux rivés sur les élections présidentielles.
Cette unité-là de la gauche que certain-es nomment déjà « Union de la gauche »n’est pas une bonne nouvelle. En effet, le choix d’EELV de nier, minorer et même refuser l’axe gauche/droite (« nous ne sommes ni de droite, ni de gauche, nous sommes écologistes ») permet de rester dans le cadre constitutionnellement anti-social de l’Union Européenne et de proposer un capitalisme vert qu’on peut analyser (c’est mon cas) comme un oxymore, une contradiction dans les termes.

Le choix de Poitiers Collectif de refuser toute fusion entre les deux tours avec « Osons 2020 », les déclarations nationales qui se multiplient en faveur d’une candidature unique derrière EELV aux présidentielles, laissent à penser que l’unité d’une gauche de transformation sociale et écologique sera un combat, qu’il y aura des visées hégémoniques pour rester à l’intérieur du cadre du système actuel et ne pas le remettre en cause.

L’absence d’une opposition de gauche radicale ou de rupture tant au niveau de Poitiers que de Grand Poitiers va reproduire ce qu’on connaît déjà au niveau de la Région Nouvelle Aquitaine : une gestion « en même temps » écologique et libérale sans qu’aucune voix ne vienne bousculer un nouveau (bien que conflictuel) consensus mou, ne vienne proposer des pistes d’une alternative de société.

Ça va manquer à l’heure des combat syndicaux et associatifs qui se dérouleront en bonne partie en dehors du cadre institutionnel.

Pascal Canaud

Rédaction

2 réactions sur “Poitiers passe au vert. Tentative d’analyses à chaud.

  1. Salut,
    Vérifie tes sources car en aucun cas la CGT n’a pris position.
    Surtout qu’en tant qu’ancien syndicaliste et militant politique de gauche je pensais que tu savais qu’il n’existe pas Une cgt mais de multiples syndicats cgt Unis autours de leur union départementale.
    Et concernant le personnel municipal, selon le services ils dependent de Poitiers ou grand Poitiers. Le fait que la maire de Poitiers soit différentes du président de grand Poitiers complexifie les démarches des syndicats dans la défense des salariés.

  2. Mon expression était malheureuse : j’aurais dû dire « la secrétaire de ‘l’UD-CGT »

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