Une lettre ouverte de près de 1500 universitaires dont près de 70 de l’université de Poitiers :

« Depuis la mi-mai 2020, un dé-confinement a lieu progressivement dans nombre de lieux publics en France (écoles maternelles et élémentaires à partir du 18 mai, lieux de culte à partir du 24 mai, collèges et lycées dans les zones vertes à partir du 4 juin). Partout, on se réhabitue progressivement à vivre, à travailler et à reprendre des échanges sociaux, en tenant compte de la présence persistante du virus. 

En contraste avec ce tableau, l’Université sera-t-elle la seule des structures publiques en France à rester fermée aux étudiant.e.s et enseignant.e.s (certains personnels de l’administration et BIATSS ayant peu à peu repris sur place et s’apprêtant à le faire davantage à partir du 2 juin) ? Sera-ce donc le seul lieu qui soit désormais considéré comme pouvant être mis en sommeil jusqu’en septembre, sans que cela choque la société ni la nation ?
Au rebours de ce choix, nous proposons de rouvrir l’université et de lui insuffler de la vie à nouveau, dans le respect des règles sanitaires conjuguées aux divers lieux.

Nos préoccupations sont doubles : elles concernent la période actuelle où tout ne peut être mis en veille pendant trois mois ; elles concernent aussi le temps de la rentrée. Or, ces deux moments sont liés : car comment aborder la rentrée, sans avoir expérimenté, progressivement, la vie de l’université, via un déconfinement, comme cela se fait par exemple à d’autres niveaux d’enseignement, et y compris en maternelle ?

Pour la période actuelle

Ce serait faire fi des besoins criants des étudiant·e·s et des chercheur·se·s que de maintenir tout fermé. Permettre aux étudiant·e·s isolé·e·s par deux mois de confinement de retrouver des espaces propices au travail et aux sociabilités est un enjeu majeur. Autoriser les contacts entre les étudiant·e·s et les enseignant·e·s qui les suivent pour leurs travaux de recherche, c’est permettre de rouvrir certains bureaux, c’est aussi promouvoir des lieux de discussion pour des échanges en petits groupes, en respectant les gestes barrières. Autoriser les étudiant·e·s à retrouver les bibliothèques universitaires (ou des lieux de consultations de livres situés ailleurs) et certains laboratoires est indispensable si l’on veut redonner l’accès aux ouvrages, aux médias et aux résultats d’expériences indispensables à la réalisation des recherches menées. Pour certains étudiant·e·s, des masters et des doctorats sont en jeu. Pour d’autres, il s’agit de retrouver une énergie de travail dans la rencontre fructueuse et les échanges entre pairs. Si c’est possible pour des enfants, de la maternelle au collège, comment cela ne le serait-il pas pour des étudiants, adultes majeurs ? 

Cela ne peut se faire, bien évidemment, qu’en accord avec les personnels concernés par ces réouvertures et sous le contrôle des CHSCT. Une ouverture ne sera en effet sereine que si elle respecte la santé et la sécurité des personnels, des étudiant·e·s et de tous ceux et toutes celles qui fréquentent ces lieux. Il faudra prendre en compte les cas des personnels vulnérables ou aux pathologies spécifiques, élaborer des chartes à signer par les étudiant·e·s (gestes barrières et nettoyage des sièges et des matériels à réaliser par chacun·e d’entre elleux), il faudra trouver ce qu’il est possible de faire et ce qui serait dangereux de réaliser.

Mais cependant, nous souhaitons affirmer la place essentielle de l’Université dans la vie de la nation, tout aussi essentielle que certains lieux de production de biens et de services (commerces, lieux et spectacles touristiques, lieux de culte, etc.) qui ont été autorisés à reprendre leur activité et qui concentrent pourtant davantage la présence d’êtres humains que des bureaux ou des salles de travail.

Réinvestir progressivement nos lieux de travail nous permettra d’intégrer les comportements visant à nous protéger d’un virus avec lequel nous allons devoir apprendre à vivre, et de montrer s’il sera possible de travailler « en présentiel » à la rentrée.

Pour la rentrée 

A partir du mois de septembre prochain, la Ministre de l’Enseignement Supérieur a annoncé des mesures de contraintes sanitaires très strictes pour les universités (4m² sont à réserver à chaque étudiant.e). L’enseignement à distance ou en « présentiel hybride » nous est imposé. Nous ne pouvons nous résigner à recevoir les étudiant·e·s dans ces conditions pédagogiques, à délivrer pour de grandes cohortes — comme c’est le cas particulièrement en première année — des cours magistraux via l’internet, abstraits et avec des interactions possibles avec l’enseignant·e seulement une semaine sur 3 ou sur 4, puisque serait organisé un roulement entre étudiant·e·s présent·e·s au cours magistral telle semaine et ceux et celles qui le suivraient à distance. Ces propositions d’aménagement correspondent à une dégradation majeure des conditions d’études – mais aussi de travail des enseignant·es et enseignant·es-chercheur·es. Elles risquent de conduire de nombreux·ses bachelier·es ou étudiant·es à renoncer purement et simplement à leur inscription à l’université face à l’impossibilité économique d’avoir un équipement numérique rendu obligatoire et devant l’incertitude de ce que l’on peut attendre des études lorsque les conditions de réussite ne sont plus réunies mais que le coût en reste élevé. Il est facile – puisque nous l’avons constaté durant les deux mois de confinement – d’imaginer les conséquences pour des étudiant·es largement laissé·e·s à elleux-mêmes devant un écran intermittent ou un téléphone peu lisible, livré·e·s à la solitude de cours sur le rythme desquels ielles ne pourraient intervenir pour demander un éclaircissement qu’une semaine sur 3 ou 4, coupé·e·s d’une sociabilité qui permet, seule, de donner de l’énergie de travail, grâce à un environnement psychique et intellectuel favorable. Les différents plans qui ont existé (Plan réussite en licence, accueil spécifique des premières années) ont cherché à faire diminuer le taux d’échec en première année. Le cours magistral en première année à distance via l’internet aurait exactement l’effet inverse.

C’est pourquoi, nous refusons cette solution consistant à permettre la fréquentation du cours magistral en amphi qu’une semaine sur 3 ou 4 par roulement, le reste étant organisé en distanciel, et proposons au contraire de mettre en place des groupes supplémentaires afin que chacun puisse accéder aux cours magistraux et aux TD en présence. Il s’agit de faire face à la nécessité d’espacer les individus, tout en les recevant dans un contexte pédagogique acceptable, seul susceptible de leur offrir les conditions d’une réussite. A d’autres niveaux d’études que les premières années, la même question se posera et pourra nécessiter, selon les cas, des aménagements nécessitant dédoublement des TD et des cours. Il ne s’agit pas pour nous de refuser en bloc le recours à des moyens pédagogiques hybrides mais de les réserver pour les cas où ils sont réellement efficaces, adaptés au public et permettant une interaction correcte et productive, avec l’enseignant·e, comme cela existe certainement dans le cas d’étudiant·e·s plus avancé·e·s.

Or, des groupes réduits, cela signifie des moyens supplémentaires pour l’enseignement supérieur et la recherche. Un plan spécifique, pour faire face à la situation que nous traversons actuellement, sera seul à la hauteur des enjeux et des besoins. Des créations de postes sont réclamées depuis longtemps par la communauté des BIATSS et des enseignant.e.s-chercheur.se.s.  Et cette année, avec plus d’acuité encore, l’accueil spécifiquement multiplié dans certains cours nécessite des ouvertures de postes, dans l’urgence des postes d’ATER. Les jeunes docteur·es et doctorant·es sont des centaines dans l’attente d’un poste. Bien sûr, ce sont des postes de titulaires qu’il nous faut, mais dans l’immédiat, la demande d’ATER nous semble un horizon possible et indispensable ! Le tutorat renforcé ne peut être à la mesure des enjeux.

Des locaux aussi devront être trouvés pour que, dès que le seuil d’accueil sanitaire est atteint, le cours ou le TD puisse être répété par l’enseignant ou un collègue sur place ou dans un lieu supplémentaire. 

C’est à l’État désormais que nous faisons appel !

Un fonds destiné à la reprise universitaire après COVID doit être lancé : il s’agit d’abord d’une véritable dotation d’urgence, avant un plan à plus long terme. Il faut donner la capacité aux établissements de proposer une ouverture saine et efficace (recrutements d’ATER, de BIATSS, accès à des locaux nouveaux), dès maintenant et en prévision de la rentrée de septembre à venir !

Pour une université qui revit, il faut dès maintenant décider de déconfiner.
Enseignant·es en universités, nous appelons les collègues et les étudiant·es de toutes les universités à converger sur la demande d’ouverture partielle immédiate et d’un plan de financement exceptionnel de la rentrée et à faire entendre nos demandes, notamment en accompagnant ce texte de leur signature.

Lundi 25 mai 2020

Signature et fonction des 1425 universitaires dont les 68 de l’université de Poitiers en pdf ici

Rédaction

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