C’est un peu facile de paraphraser Rimbaud et son « L’amour est à réinventer », mais ça résonne toujours bien, alors pourquoi s’en priver. « La gauche est à réinventer », c’est un peu ce qui s’entend dans l’avant-dernière phrase du communiqué de ce dimanche 9 décembre écrit par les mouvements poitevins de gauche : « C’est un nouveau « tous ensemble » qui est en marche face au président des riches. »
C’est presque un défi que se lance la gauche cette semaine, avec la date fatidique du vendredi 14 décembre. Rien que pour ça, merci les gilets jaunes, pour avoir brandi place d’armes les slogans « rends l’ISF » et « solidarité pour les exploitées ». Merci au monsieur sur ces mêmes marches qui lance le cri « Qu’est-ce qu’on veut ? Des salaires ! Des sous, pas la misère ! » On ne peut plus dire après ça que c’est un délire fantasmé de gauche que de vouloir y lire son propre combat, même dans un mouvement qui reste hétérogène, tout ça tout ça, ça les médias le répètent en boucle bien assez. « Hétérogène », « confus », on connaît la chanson. Christophe Barbier ne manque jamais ni d’énergie ni de salive pour se déplacer le midi sur BFM et autres et le marteler inlassablement. Au cas où un Français au monde ne l’aurait pas entendu, n’aurait pas compris que les gueux sont de doux rêveurs irresponsables (et violents) qui ne savent pas ce qu’ils font et encore moins ce qui est bon pour eux.
Les gilets jaunes place d’armes à Poitiers ont concrétisé l’analyse de l’historien Gérard Noiriel dans Le Monde : « Les “gilets jaunes” replacent la question sociale au centre du jeu politique ». Et ce jusque dans la marche pour le climat : ce n’est peut-être pas un hasard si les pancartes insistaient particulièrement sur l’alliance du social et de l’écologie, du rouge et du vert.
À ce titre, les gilets jaunes auront œuvré d’une certaine façon pour la question écologique plus qu’ils ne l’auront dédaignée, tant ils auront rappelé dans les esprits qu’aucune révolution écologique ne peut se faire sans la question sociale de la répartition des richesses. Le rédacteur en chef de Reporterre, Hervé Kempf, auteur de Comment les riches détruisent la planète, qui débattait la semaine dernière encore avec un gilet jaune sur Fakirtv, le dit très explicitement : « Face à la crise écologique, il nous faut consommer moins pour répartir mieux. Afin de mieux vivre ensemble plutôt que de consommer seuls. »
Alors aujourd’hui, on peut espérer que ce n’est pas vivre dans un monde d’arc-en-ciel et de bisounours que de dire juste les gilets jaunes, y compris à Poitiers, ce sont avant tout des précaires, qui ne sont pour la majorité pas plus hantés par l’Action française que nous-mêmes. Et quand bien même certains le seraient, à quoi servirait d’être de gauche si ce n’est pas pour parler à des gens qui exprimaient samedi dernier encore un besoin d’égalité devant le porte-monnaie et, par voie de conséquence, de dignité aussi ? Il faut espérer qu’on a enfin dépassé les prudes distinctions gilets jaunes / lycéens, comme s’il fallait choisir de s’occuper des uns plutôt que des autres quand leurs revendications respectives luttent contre une même philosophie ultralibérale qui les punit directement : « Soyons, plus que jamais, ce lundi encore, sur les rond-points, et aussi dans les entreprises, dans les lycées et les universités, soyons debout plus que jamais », intime le communiqué.
Merci enfin tant aux gilets jaunes qu’aux lycéens, au personnel hospitalier, à tous les précaires qui d’ici vendredi auront ouvert une brèche pour donner à la gauche poitevine l’occasion, si elle sait la saisir, de se réinventer.
Alice Lebreton