La gratuité des bus, un projet au centre d’une politique de mobilité pour tous et partagée par tous
Quelques mois après l’ouverture des 1ères rencontres des villes du transport gratuit à Dunkerque (http://www.rencontrestransportgratuit.com/), Poitiers comme de nombreuses autres villes européennes connaît un renouveau des débats sur cette question, et c’est avec beaucoup de plaisir et d’intérêt que je lis les différents articles de Web86.info qui s’en font l’écho.
Les récentes discussions au sein du conseil communautaire (https://www.lanouvellerepublique.fr/poitiers/poitiers-l-idee-de-gratuite-des-bus-nourrit-les-debats-du-conseil-communautaire) ont souligné toute la complexité de la question et les oppositions « classiques » dont fait l’objet cette proposition. Il serait toutefois regrettable qu’une communauté urbaine comme celle de Grand Poitiers ne s’engage pas de manière sérieuse dans cette réflexion.
web86.info a déjà pu se faire l’écho de différentes voix qui s’élèvent pour conduire à une évaluation collective et ouverte de cette question et nous ne pouvons qu’être confiants.
L’une des voies possibles afin d’éviter de tomber dans des débats contradictoires stériles serait d’inscrire le débat au-delà d’une simple étude comparée des coûts économiques et des gains environnementaux.
Il semble aujourd’hui inutile de devoir à nouveau démontrer que l’automobile est la source principale d’émission du CO2 et d’autres polluants atmosphériques rejetés au sein de la communauté urbaine de Poitiers (http://emissions-polluantes.atmo-nouvelleaquitaine.org/index.php#page-top), que la viabilité économique d’un modèle de gratuité est tout à fait envisageable ou bien encore que la tarification sociale des transports ne suffit pas à donner toute la dimension sociale nécessaire à une politique de mobilité pour tous et partagée par tous (http://fr.forumviesmobiles.org/video/2018/06/26/pourquoi-gratuite-des-transports-collectifs-gagne-t-elle-terrain-12476)
Quelles études scientifiques ?
Si la gratuité des transports en commun fait l’objet d’autant de débats et plus encore de critiques, c’est aussi le fait du nombre malgré tout réduit d’études scientifiques consacrées à cette question ; ou plus justement, du nombre trop faible des études conduites en dehors du champ de l’économie des transports.
Comme l’indiquent les chercheurs Henri Briche & Maxime Huré dans leur publication consacrée à l’agglomération de Dunkerque, qui a fait le choix de la gratuité en 2018 (cf. https://www.metropolitiques.eu/Dunkerque-nouveau-laboratoire-de.html), il est temps que « la gratuité des transports devienne enfin un objet reconnu pour la recherche urbaine. » Dans le cas de Dunkerque, ces chercheurs soulignent que « les premières conclusions des enquêtes en cours mettent en évidence deux effets principaux chez les habitants : un développement de la mobilité des personnes âgées et des jeunes générations ainsi qu’un sentiment accru de liberté, fruit d’une plus grande autonomie dans les déplacements ».
Sur le versant de la question environnementale, ces résultats ne doivent toutefois pas nous éloigner des propos de spécialistes d’économies des transports qui, à l’instar d’Yves Crozet (https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01793447/document), nous rappellent que pour que la gratuité aboutisse à un réel changement dans les choix de mobilités des automobilistes, il faut que cette politique s’accompagne aussi d’un ensemble de contraintes sur la voiture particulière (tarification du stationnement ou de la circulation, restrictions de voirie, priorité au covoiturage…).
À Poitiers
En regard de ce point et à l’échelle poitevine, le choix d’un fonctionnement en série des feux tricolores sur les boulevards périphériques en direction de la porte de Paris dans le but de fluidifier le trafic routier peut se révéler contre-productif. Si les bénéfices d’un tel choix en termes d’émission de polluants atmosphériques peuvent s’avérer « positifs » aux heures de pics de circulation, il ne fait que repousser la réflexion individuelle sur le report vers d’autres modes de déplacements. En donnant l’impression d’une circulation moins saccadée, ce type d’option rend « toujours plus acceptable » le fait de voir s’égrener matin et soir sur les boulevards poitevins des files de véhicules ne comptant à leur bord qu’une seule personne.
À ces débats vient s’ajouter celui relatif à la fréquence des dessertes. Comme l’avait souligné un sondage (2015) réalisé à l’occasion du Forum Transports & Territoires à Lyon
(https://www.lagazettedescommunes.com/372443/transports-en-commun-cout-et-frequence-en-tete-des-preoccupations-des-francais/), les Français seraient prêts à privilégier «les transports en commun à leur voiture pour leurs déplacements quotidiens s’ils leurs assuraient ‘de pouvoir se déplacer quand ils le souhaitent’ ».
La question de la gratuité des transports en commun est des plus stimulantes, car elle ouvre la réflexion sur la définition d’une politique de mobilité à la fois conforme aux enjeux environnementaux et attentive aux questions d’équité sociale et de justice spatiale.
Enfin, si le débat sur la gratuité des transports en commun à Poitiers doit se donner le temps de la réflexion, il n’en demeure pas moins vrai que certaines pratiques, simples à mettre en place, pourraient favoriser l’utilisation des transports en commun. On pourra citer en exemple les réseaux de transports de Brest, Pau ou bien encore Bordeaux qui expérimentent l’arrêt à la demande à partir de 22h sur certaines de leurs lignes. Les résultats des expérimentations ne sont pas encore connus mais il est permis de penser que la possibilité d’une descente inter-arrêts contribue à encourager les déplacements nocturnes en transports en commun ainsi qu’à renforcer l’égalité entre femmes et hommes en matière de déplacement dans la ville.
W. Berthomière