Une nouvelle poésie de Abel Tocallu
Dans un monde où le tic-tac des horloges est remplacé par le silence des algorithmes, où la matérialité semble être une prison dont il faut scier les barreaux pour espérer vivre ; les lumières bleues des flux vidéo ininterrompus éclairent nos rêves et nous engluent dans la toile. Les GAFAM s’accaparent notre intelligence.
Nos cerveaux sont-ils les derniers territoires à brûler ?
Corruption, finance, média, fabrique du consentement, atteinte de la vie privée, métadonnées, toute information est numérisée virtualisée, filtrée, hiérarchisée, classée, réutilisée. Les nouvelles sont maintenant robotisées pendant que les humains sont vectorisés. Nos relations deviennent binaires, et tels des figurants à effacer, nos choix se limitent entre une face A et une face B.
« Big brother is watching you »
L’économie a fait de nos rêves un produit marchand, elle cannibalise aussi bien les gens que notre langage et nous fait avancer à coups d’attentions. L’humanité est en obsolescence programmée, nous sommes linéarisés, aseptisés, l’école nous moule à la société, l’entreprise nous cloue à la civilisation. Tout questionnement doit être conforme, tout ennui doit être capté. On accapare le dernier air libre de nos pensées pour le vendre aux multinationales. Le monde s’artificialise en cadence pendant que l’intelligence s’aplatit, domestiquée par les clics.
J’aime
Le monde n’a donc plus de sens. Notre finalité se résume à « liker » le pouvoir financier. Les embouteillages deviennent notre dernière expérience collective pendant que le béton dévore la nature. Nous reniflons les combustions d’un monde parti en fumées et nous croyons librement penser. Les puissants confisquent ce que les pauvres se partagent et les incitent à le publier à travers les écrans. La domestication du monde se mesure aux nombres de tractopelles et le numérique divise la planète en deux : un zéro et un 1.
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Notre physiologie sociale est sans repères. Internet ne se touche pas, ne sent pas, ne se voit pas, tout y est dématérialisé, tout ne se résume qu’à de la donnée. Notre environnement numérisé doit entrer dans la sphère du marché. Notre consommation devient ostentatoire et notre religion technologique. L’impérialisme et la militarisation propage sa mission civilisatrice. Rien n’est neutre, tout est blanc ; et notre silence encourage les oppresseurs qui se déchaînent sur le monde avec une violence sans précédent. Les parasites urbanisent le monde pendant que les poissons rouges s’agitent dans un bocal.
Nous sommes la seule espèce vivant dans des zoos de notre propre conception.
Effondrement généralisé, aliénation des plaisirs illusoires, consommation, divertissement, besoin pathologique de reconnaissance, servitude volontaire. La civilisation industrielle nous a offert la surveillance globale, les forêts gérées comme un carnet comptable, la lumière artificielle, le grondement permanent des moteurs, les montagnes de déchets et les plages couvertes de cadavres. Ce monde irréel, vallée du silicone, ne nous laisse que le choix de finir en robot.
Des nains sur des épaules de géants.
Des fous nous gouvernent par l’ordre et la sécurité. Capital, fascisme, le suicide est organisé. Les inventeurs de la bombe atomique, des fusées et des ordinateurs sont les bâtisseurs de pyramide de notre temps. Le mythe de la puissance illimité est irrationnel. Le niveau de vie occidental est non négociable et le système doit s’étendre quoiqu’il en coûte. Les villes seront intelligentes et les objets virtualisés. L’homme prométhéen, tourmenté par ces rêves, voit la tyrannie de ces désirs industriellement formatée. Le métavers nous offre une seconde vie.
Amor Fati
Face aux impératifs techniques et au savoir absolu de la technoscience, se plaçant en sauveur des problèmes qu’elle engendre ; il est temps d’affirmer son humanité. Saboter l’avidité de quelques-uns pour rendre plus fort l’entraide de tous. Devenir pirate, bricoleur.euse, artisan.e, paysan.ne. Capturer la vie que nous voulons expérimenter. Cultiver notre autonomie et définir nos besoins collectivement et librement. N’acceptons jamais les règles qu’ils ont fabriquées, mais bien les rêves que notre cœur veut abriter.
Oiseau liberté
Comme un souffle à venir vient raviver les braises, pour rendre au crépuscule la beauté des aurores ; résistons. La liberté de créer, les luttes collectives et le libre accès aux savoirs briseront cette rêverie machinée. Par nos actions ne craignons plus d’être indociles et faisons embraser nos lueurs d’espoir sur ce monde fumant. Aux imaginaires tenaces et révolutions colorées. Créons, luttons, explorons, rêvons avant que ce soit tout ce qu’il nous reste.
« Là où le sol s’est enlaidi, là où toute poésie a disparu du paysage, les imaginations s’éteignent, les esprits s’appauvrissent, la routine et la servilité s’emparent des âmes et les disposent à la torpeur et à la mort »
Élisée Reclus, Du sentiment de la nature dans les sociétés modernes, 1866.