« “On ne peut pas raconter des craques aux agriculteurs, il faut arrêter” disait Emmanuel Macron en préambule du Salon de l’agriculture, en pleine mobilisation agricole. Et il avait raison. Pourtant, nous avons débattu ces deux dernières semaines de la loi d’avenir et d’orientation agricole, qui devait fixer un cap, qui devait répondre aux mobilisations. Une loi d’avenir pour notre agriculture, dont la préparation avait été rythmée par des concertations en grande pompe.
A peine deux mois plus tard, il faut se rendre à l’évidence : le texte est vide. Il faudra attendre au moins un an avant d’espérer connaître l’orientation que le Président veut fixer pour l’agriculture. A croire qu’il n’y a aucun problème, aucune urgence.
D’orientation et d’avenir, cette loi en a perdu le nom, et le fond.
D’installation, elle n’en souhaite pas, puisqu’elle ne fixe aucun objectif, ne se dote d’aucune ambition et d’aucun moyen pour la faire appliquer.
De transition, elle n’en aime que l’idée abstraite, quand elle se résume à quelques adjectifs peu contraignants ajoutés ci et là. Elle n’en aime que les jolis mots, puisqu’elle décide, sciemment – et à ce moment là de notre histoire, c’est un choix politique criminel– de nier l’effondrement des espèces, les limites planétaires et les impacts dévastateurs des changements climatiques.
Elle déploie beaucoup plus d’énergie, cette loi, à poursuivre le détricotage entamé du droit de l’environnement plutôt que d’enclencher enfin la transition massive vers l’agriculture biologique, qui n’était même pas mentionnée dans le projet de loi initial.
On y trouve aussi l’absence scandaleuse de toute mesure sur le foncier, si ce n’est une proposition pour ouvrir les terres agricoles à la spéculation foncière.
Autre absence scandaleuse : il n’y figure rien sur le revenu, sur la capacité des agriculteurs à pouvoir fixer leurs propres prix pour ce qu’ils produisent et vendent, et sur leur capacité à pouvoir vivre de leur travail dignement.
Pour toutes ces raisons, le groupe écologiste a déposé une motion de rejet préalable sur ce texte. Rejetée par la majorité, la droite et l’extrême droite, satisfaites par ce texte.
Malheureusement, cette loi s’inscrit dans la continuité des politiques agricoles de ces dernières décennies. Résultat : le modèle agricole productiviste est agonisant. Mais il faudrait le rendre plus compétitif encore pour remporter la guerre commerciale internationale. C’est sans doute là que se manifeste le plus clairement l’opposition entre le Gouvernement et les écologistes :
– Pour le gouvernement, la vocation de l’agriculture est de “renforcer la création de richesse et la compétitivité de l’économie française”, prévoit l’article premier du projet de loi. Pour les écologistes, l’agriculture doit permettre de fournir une alimentation saine et durable à nos concitoyens.
– Pour le gouvernement, la boussole c’est la balance commerciale. Pour les écologistes, la boussole ce sont des productions diversifiées, adaptées aux besoins des territoires, produites de façon écologique et fournissant un revenu digne aux producteurs. C’est aussi le respect de la souveraineté des autres pays plutôt que de sponsoriser des agro-industriels pour qu’ils inondent des marchés du Sud, affament les paysans locaux et les conduisent à l’exil.
– Pour le gouvernement, la tactique est de vanter la diversité des modèles, biologiques et conventionnel, nier les faits scientifiques qui montrent que l’un est destructeur et obsolète. Pour les écologistes, la priorité est d’assumer qu’un modèle est vertueux et résilient et d’accompagner tou.tes les paysan.nes vers ce modèle afin de maintenir notre modèle d’agriculture familiale et pastorale.
Là où le gouvernement multiplie les échecs, certains responsables agricoles, associatifs, politiques défrichent un chemin soutenable et désirable :
– Alors que le gouvernement échoue à atteindre tous les objectifs d’EGAlim dont celui de 20 % de bio dans les cantines en atteignant péniblement les 6 %, toutes les villes écologistes surpassent largement les objectifs. En quelques années, nous sommes déjà à +50 % de bio dans de grandes villes comme Lyon, Montpellier ou Bordeaux mais aussi dans des plus petites comme Bègles, à 71%, et Mouans-Sartoux, à 100%.
– Quand le gouvernement laisse la filière bio dépérir en refusant de modifier l’éco-régime de la PAC, les écologistes soutiennent partout les producteurs bio et mettent en place des innovations comme à Strasbourg où les ordonnances vertes permettent aux femmes enceintes de profiter de produits sains et aux maraîchers bios d’augmenter leurs débouchés pour leurs productions.
– Quand le gouvernement artificialise les terres agricoles et fait disparaître des fermes, le Grand Lyon protège 10 000 ha, Nantes Métropole en protège 14 000.
Cette profonde crise de notre modèle agricole n’est pas inéluctable. Elle résulte de choix politiques, ceux du Gouvernement. Ils conduisent à ce plan social, ces milliers de familles démunies, d’agriculteurs endettés, ces jeunes qui renoncent à reprendre la ferme familiale.
Ce sont les lois Pisani qui ont orchestré la modernisation de l’agriculture dans les années 60. Avant qu’Edgar Pisani lui-même reconnaisse et regrette plusieurs décennies plus tard les conséquences de l’industrialisation qui menaçait l’agriculture. Comme quoi reconnaître des faits, assumer des erreurs c’est possible. Utiliser la loi pour donner de nouvelles orientations, c’est possible.
Alors que la moitié des terres agricoles vont changer de main dans les prochaines années, nous avons le pouvoir, et donc le devoir, de changer de cap.
C’est ce que j’ai proposé, avec mes collègues, deux semaines durant, dans l’hémicycle. »