Tentative d’Assemblée constituante manquée ce samedi 15 décembre à Poitiers-Sud, mais tentative quand même, vouée à se concrétiser vendredi prochain (en terrain privé).
Comme de nombreux autres ronds-points de France, à en juger la première revendication qui fuse pendant le road trip de François Ruffin du nord au sud, la fièvre de la démocratie directe gagne les Poitevins jaunes. Et si seulement ils n’étaient pas les seuls. On aura beau dire à quel point le mouvement est hétérogène et tout ce qui s’ensuit, il n’empêche que les forces jaunes évoluent vers une revendication devenue celle tout en haut de la liste : le réinvestissement de la parole directe dans la sphère publique.
Pas très « apolitique » tout ça. On se rapprocherait même de l’une des définitions d’Alain Badiou de la politique dans son Éloge de la politique, un entretien avec Aude Lancelin : la politique a deux visages qui s’opposent, l’art du mensonge selon Machiavel contre celui de la vie de la cité, « la capacité d’une société а s’emparer de son destin, à inventer un ordre juste et se placer sous l’impératif du bien commun.» L’art du mensonge vs l’art de la justice. On sait de quel côté se tiennent la majorité des gilets jaunes de façon de plus en plus nette.
Un mois plus tard, les partis de droite ont préféré à la manif des gilets jaunes les bons vieux fantasmes sécuritaires. Pendant ce temps, samedi, les gilets jaunes de Poitiers résistent encore et toujours grâce à une action commune avec le Secours Populaire de dons de jouets. Comme par instinct de survie du moment, c’est encore par le social qu’ils existent, qu’ils tiennent tête aux cabanes démontées, remontées inlassablement.
Drôle de se dire qu’on entend en boucle depuis samedi dans toute la sphère médiatique que le mouvement s’essouffle, quand sur les réseaux sociaux les gilets jaunes de Poitiers paraissent plus tenaces que jamais. Drôle aussi cette passerelle entre justice sociale et démocratie participative et directe. C’est ce qui est énervant avec les types comme Badiou, ils ont jamais complètement tort.
Il se passe à Poitiers, en plus de la question du référendum d’initiative citoyenne, le débat sur la gratuité des transports relancé. Malgré le refus catégorique de la mairie, l’idée passe du rêve de longue date au débat, fait son petit bonhomme de chemin dans les esprits, et pas seulement dans le cercle politique. On m’en parlait aujourd’hui encore, des gens pas spécialement politisés, et même pas du tout, c’est pourquoi j’en parle ici. C’est bien pour leur intérêt commun et l’enthousiasme instinctif de ces personnes sur la question que j’ai cogité toute la journée, en me demandant si la politique de la gratuité de manière générale, ça pouvait bel et bien dépasser la sphère de la gauche bien à gauche.
Pourquoi les désirs d’Assemblée Constituante des Giles jaunes et le débat sur la gratuité des transports (et peut-être plus tard plus si affinités) dans un même article ? Les deux projets vont apparemment dans un sens complémentaire, une tentative de mettre à mal la pensée et l’organisation néolibérale, d’autant plus à échelle locale : « Outre qu’elle répond également à l’urgence sociale et écologique, la gratuité offre le moyen de terrasser les quatre cavaliers de l’Apocalypse qui menacent l’humanité et la planète : marchandisation, monétarisation, utilitarisme et économisme. Elle nous propulse vers un au-delà des logiques de besoins et de rareté. », certifie Paul Ariès. Le même article en profite pour anticiper et déjouer d’avance les premières objections stéréotypées :
« Dans aucun des domaines concernés la gratuité n’induit une baisse de la qualité du service, contrairement à la rumeur entretenue selon laquelle il faudrait choisir entre gratuité et qualité. L’expérience le démontre : elle ne contribue ni à l’essor des incivilités ni à une recrudescence des dégradations ; au contraire. »
Un double-coup à tenter ?
Alice Lebreton