On peut le concéder, face aux images des gilets jaunes sur grand écran : les visages des gilets jaunes sont beaux : ce film est un portrait qui fait écho à d’autres : qu’en ont pensé les gilets jaunes de Poitiers ? Pas trop de mal, à en juger, non seulement les applaudissements, mais déjà par leur présence à l’avant-première du 27 mars dernier au Dietrich.
Cependant, le réalisateur Gilles Perret présent au Dietrich ce soir-là le précise, comme François Ruffin dans ses interventions : le public visé n’est même pas un public qui calquera ses angoisses et galères du quotidien sur les témoignages des personnages du film : comme Merci Patron, ce public est à usage des indifférentes et indifférents : ceux qui passent en voiture devant les ronds-points, aperçoivent des inconnus avec un gilet jaune, et ne se disent pas « Ah, ils sont-là parce que la galère est devenue trop étouffante, ils ne voient plus le bout ni du tunnel ni de rien », mais plutôt « Ah, je vais être en retard à mon rendez-vous », ou au mieux « Je comprends, MAIS j’ai des impératifs, etc. ». Ceci n’est pas une condamnation (d’où je parlerais pour faire la morale à qui que ce soit), d’abord parce que tout le monde peut prendre de la distance et aborder le réel sous un autre angle : ce film en est un vecteur, pensé pour.
Peut-être ne serons-nous, selon notre sensibilité, certainement pas émus par les mêmes personnages, mais sûrement nous retrouverons-nous sur certains symboles emblématiques du mouvement : les cabanes, souvenirs d’enfance, détruites inexorablement jusqu’à essoufflement de ses habitants, devenues objet poétique à l’écran.
Ce n’est pas faire preuve de niaiserie que de dire que les visages de ce film sont beaux : pas plus que s’affirmer spectateur touché devant un autoportrait de Van Gogh, par exemple. Comme en peinture ou en photographie, on ne sait pas pourquoi ce visage nous a marqué plus qu’un autre. Ni au nom de quoi, dans J’veux du soleil, le timbre de voix de Loïc qui nous livre sobrement l’intimité de sa vie, « J’ai pas mangé depuis 3 jours, heureusement dans ma pizzeria, j’ai droit à une pizza gratuite par semaines », ça remue quelque chose en nous, calés au fond de notre fauteuil.
Dans J’veux du soleil, les gilets jaunes apparaissent comme des portraits vivants : des expressions, des traits, des visages, des voix, leurs mots sur le réel. Un moyen de quitter l’indifférence, avant les barbecues printaniers sur les ronds-points, de Poitiers-Sud à Mignaloux-Beauvoir.
Alice Lebreton