Ce procès n’est pas un procès juste

Un compte rendu détaillé de l’audience des « neuf de Poitiers »

17 décembre 2017 : dix personnes ont été convoquées au Tribunal de grande instance de Poitiers à 9h. Le parquet les poursuit pour avoir circulé dans l’enceinte des voies de chemin de fer de la gare. Ce sont pour sept d’entre eux et elles des militant.e.s de la mouvance libertaire de Poitiers, et pour deux d’entre eux des militants du syndicat Solidaires, en responsabilité syndicale au moment des faits, enseignant.e.s, retraité.e.s, salarié.e.s, étudiant.e.s, ou au RSA.

Pourquoi nous ? Pourquoi pas les quatre cent autres personnes ?

Lors d’une manifestation contre la loi travail le 16 mai 2016, les quelques 400 manifestant.e.s avaient envahi la gare et les voies de chemin de fer, grâce à l’ouverture d’un grand portail effectué par les cheminots, en solidarité avec eux et en toute sécurité car l’électricité avait été coupée, comme le rappelleront les protagonistes du procès, prévenu.e.s et avocat.e.s de la défense. D’ailleurs la SNCF qui a porté plainte et qui a chiffré le préjudice à 6755,52 € à cause de retards de trains, n’a pas porté plainte pour une quelconque dégradation, car il n’y en a pas. Elle fait référence à un article de loi qui interdit de circuler sur les voies.

Pourquoi pas, mais comme le demanderont plusieurs fois les personnes convoquées et les deux avocat.e.s de la défense : pourquoi nous ? Pourquoi pas les quatre cents autres personnes ? Par ailleurs l’avocat de la défense conteste la chiffrage boiteux de la SNCF établi sur un protocole d’assureurs datant de …2005. Il estime le préjudice à 500 € maximum pour le retard d’un seul TGV, les autres trains étant arrêtés…pour cause de grève de cheminots !

La salle éclate de rire, le procureur est vexé

Les prévenu.e.s dénoncent à juste titre un ciblage politique et syndical inique. Le procureur a beau jeu de répondre lors de sa plaidoirie qu’ils et elles ont été ciblé.e.s car ils ou elles étaient connu-e-s. Mais connu.e.s pour quelle raison ? Cela ne sera pas dit. Ce dernier, croyant faire un effet de manche s’adresse à la salle : « J’espère que vous sortirez moins virulents », ou encore, « Vous seriez étonnés de savoir à quelle mouvance politique j’appartenais étant jeune ». La salle éclate de rire, il est vexé.

Depuis quelques temps nous sommes tout le temps filmés en manifestation

Un des responsables syndical de Solidaires éducation précisera : « Depuis quelques temps nous sommes tout le temps filmés en manifestation ». Et la question qui se pose, est : que fait la police de ces images ? Il est légitime de penser que ces images servent ensuite pour opérer un ciblage.

La défense a relevé plusieurs erreurs et incohérences, notamment le fait que d’autres responsables syndicaux étaient cité.e.s dans la procédure mais perversité du parquet, un tri a été opéré jetant ainsi un climat de suspicion. Est-ce à dire que le but de la manœuvre est de diviser les forces de gauche syndicales et militantes de Poitiers, ou même que la police règle ses comptes comme le suggère un responsable syndical de Solidaires ? Une des avocate de la défense dira : «  c’est comme s’il y avait de bons et de mauvais syndiqués ».

Oui je suis anarchiste et alors ? Ce n’est pas interdit

Dès lors le pouvoir judiciaire ne devrait-il pas rétablir la balance, comme le demande l’avocate de la défense ? Cette dernière, cite deux articles de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, les articles 10 et 12, qui affirment que nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi, et la garantie des droits de l’Homme et du Citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée .

Elle pose la question : « Ces articles ont-ils été respectés ? Ma conviction est : non ». Beaucoup de prévenu.e.s se sont vu.e.s reproché.e.s leur appartenance à l’anarchisme lors de leur garde à vue ou lors de leur convocation. L’un d’entre eux s’adresse calmement à la Juge : « oui je suis anarchiste et alors ? Ce n’est pas interdit ». La défense précise que pour reprocher l’extrême-gauchisme a des militant.e.s, encore faut-il connaître le centre…

La défense souligne bien le fait que dès que l’évacuation de la gare a été négociée entre l’intersyndicale et les forces de l’ordre, l’évacuation s’est faite dans le calme, sans sommation, pendant vingt minutes. Sur une vidéo de la Nouvelle République montrée en fin d’audience, à la demande de la défense, on voit même l’un des responsable syndical de Solidaires convoqué et poursuivi ce même jour, appeler à quitter les voies dans le calme, aux côtés d’une responsable syndicale de la CGT, qui fera un discours de soutien devant le tribunal ce jour-là.

Pourquoi le maire de Châtellerault ne s’est pas vu signifier de plainte par la SNCF ?

Alors pourquoi ces dix-là ? Que font-ils donc là, dans ce tribunal ? Et pourquoi le maire de Châtellerault qui a occupé les voies de la gare avec d’autres élu.e.s pour protester contre le fait que la LGV ne s’arrête pas dans sa ville ne s’est pas vu signifié une plainte de la SNCF ? Interpellé par un prévenu et la défense, l’avocat de la SNCF ne répond pas. Et c’est bien le parquet qui a estimé l’opportunité des poursuites. Il y a donc bien une intention politique du gouvernement en place à ce moment-là de poursuivre.

Pour mémoire, le garde des sceaux était Jean-Jacques Urvoas ( loi renseignement à son actif ) et Bernard Cazeneuve était 1er ministre, après avoir été ministre de l’Intérieur sous le gouvernement Valls, au moment de la mort du jeune Rémi Fraisse due à un jet de grenade en mai 2014 lors de la répression policière à Sivens…et qui a abouti à un non lieu.

L’État de droit est devenu un état de surveillance

Enfin, l’avocate fait référence à la fin de sa plaidoirie à la nouvelle loi du 30 octobre 2017. La salle, attentive, remplie d’ami.e.s, de collègues et de militant.e.s, l’écoute. Dehors une centaine de personnes militantes syndicales, citoyens et citoyennes scande « Relaxe pour les prévenu.e.s » ou bien « On y était tous et toutes ! » au grand agacement du procureur. Le silence se fait. La juge, ses assesseurs, le procureur ont compris où elle voulait en venir : « L’état d’urgence est passé dans le droit commun. l’État de droit est devenu un état de surveillance, et ce procès fait écho. Cela nous concerne, avocats, magistrats, procureur. Le pouvoir de la police échappe désormais au pouvoir judiciaire ». Silence dans la salle.

Manifester pacifiquement comprend désormais des risques

Ce procès glace en effet. La liberté syndicale semble bien avoir été bien entamée ici, et celle de manifester aussi. On ne peut s’empêcher de penser à ce que ferait un pouvoir autoritaire avec de telles prédispositions et ce ciblage mis en place par notre démocratie. Manifester pacifiquement comprend désormais des risques. Lors de l’audience, nous avons été filmé.e.s : une caméra à la sortie de la salle d’audience et une autre dans la Salle des Pas perdus. Va-t-on être ciblé.e.s nous aussi par la suite ? La répression a ceci de brutal et d’efficace qu’elle crée de la peur et du repli sur soi. Mais elle peut aussi susciter une prise de conscience militante et citoyenne de la fragilité de la liberté d’opinion, de manifester et de militer et de la nécessité de lutter pour la préserver.

La relaxe est demandée par les avocat.e.s de la défense ou alors si ce n’est pas suivi, demande de toutes petites peines. Le procureur demande 1000 € d’amende par personne et 1500 € pour ceux qui ont déjà un casier.

Réponse le jeudi 21 décembre à 14h, tribunal de grande instance.

Sophie Le Mô

Rédaction

3 thoughts on “Ce procès n’est pas un procès juste

  1. Très bon compte rendu, qui montre la justesse des prévenus es et de leurs avocat e s.Ce texte met en exergue l’immaturité d’une in – justice, se cachant derrière un argumentaire legislatif, et surtout répressif injustifiable dans le pays des droits de l’homme et soi disant démocratique, qui n’a pour but que de mettre au pas,réprimer et étouffer pour une bourgeoisie capitaliste, propriétaire et inquiète d’une éventuelle remise en cause de ses privilèges iniques

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