Il était une fois, une trésorerie dans la commune de Gençay-la-médiévale, dans la Vienne, condamnée à fermer selon la volonté du seigneur le Ministre de l’action et des comptes publics Gérald Darmanin. Rien que le nom du ministère, ça sonne un peu Shérif de Nottingham.

La trésorerie devait rendre son dernier souffle en toute fin d’année, même si pour l’heure un « compromis » à cette fermeture est annoncé par le secrétaire d’État Olivier Dussopt, avec trois demi-journées de permanence « sur une Maison des services publics » . Alors que la nouvelle année, elle, se place sous le signe du prélèvement à la source.

Le journaliste de Mediapart, Romaric Godin, pointait cette révolution de notre histoire fiscale comme une nouvelle régression sociale, avec la mort à feu doux dans laquelle elle entraîne les impôts progressifs :

« Certes, le mode de calcul ne change pas. Mais, devenu un prélèvement salarial, l’IR [Impôt sur le Revenu] change de nature : il devient une « charge », comme le sont devenues les cotisations sociales. »

Changer de « nature » pour une  autre, plus dans la logique ultralibérale, disons, c’est un peu ce que ce gouvernement et ceux qui les ont précédés préconisent pour le service public en général. Même là où ses bâtiments résistent encore et toujours. À ce titre, la trésorerie de Gençay est un symbole dans notre histoire fiscale (et sociale) du rôle de l’impôt en France : 

« On voit mal comment l’IR , désormais géré par l’usine а gaz du prélèvement а la source, échappera а cette double tentation à terme : simplifier par la suppression de la déclaration et réduire pour dégager du pouvoir d’achat. Le prélèvement а la source est un premier pas, volontaire ou non, vers sa transformation en un impôt plus simple et moins progressif. Il crée les conditions d’une demande de l’opinion allant dans ce sens. Ce 1er janvier 2019 sonne donc comme le début de la fin d’un des derniers impôts progressifs de France. »

Le parallèle avec les gilets jaunes a déjà été souligné sur ce site, avec ce contraste entre l’agenda du ministère de l’action et des comptes publics et l’urgence des exigences de justice sociale des gilets jaunes. De nouveau, la perspective des longs kilomètres, vers Civray ou Poitiers, plonge les habitants de Gençay au cœur de la malédiction rurale, ou du moins telle que la provoquent les fermetures des services publics de proximité. Ne parlons même pas du sentiment d’abandon suscité par Darmanin & Cie, avec l’excuse usée comme une peau de chagrin du « y a pas assez de monde », sans compter le pesant silence de la région.

L’ampleur de la colère n’est pas sans rappeler celle des élus et des habitants de Le Blanc, dans l’Indre, à propos de la fermeture annoncée de la maternité. C’est la colère sociale qui fait tenir les murs, et rien d’autre. France 3 présentait lors de son reportage du 29 novembre dernier le témoignage, entre autres, d’une dame de Gençay, laquelle résume par quelques petits mots si justes la cruelle conséquence commune à la fermeture d’une maternité ou d’une trésorerie : « On nous prend tout, tout ». 

L’affaire de la fermeture de la trésorerie de Gençay superpose à elle seule deux sinistres réalités de la régression sociale, fondement de la logique de l’absurde qui guide actuellement le gouvernement, toujours dans l’attente du Prince charmant – Super Investisseur qui viendra faire plein de beaux investissements au royaume des marchés. On remet à la mode le syllogisme à la Lewis Carroll : puisque désormais vous ne ferez plus de déclaration de revenus, alors toute trésorerie est occulte. Puisque les billets de train sont hors de prix, alors prenez le bus. Pas de boulot ? T’as qu’à traverser la rue. L’absurde ne connaît pas de limites.

D’une part, la trésorerie constitue un symbole de la mise à mort de l’impôt progressif tel que le concevait Joseph Caillaux, comme le retranscrit Romaric Godin dans son article :

 « Il est une chose que je sais bien, c’est que jamais la démocratie ne supportera qu’on prenne aux pauvres par l’impôt indirect sur leur nécessaire, tant qu’on n’aura pas demandé aux classes riches et obtenu d’elles ce qu’elles peuvent et qu’elles doivent consentir. » 

D’autre part, la lutte pour la sauvegarde de la trésorerie rejoint celle du mouvement des gilets jaunes, tous désemparés par la désertification du territoire. Les services publics remplacés par le vide, le néant de l’espace :

« Tout se passe comme si les résidents de ces zones, qui effectuent la plupart de leurs trajets en voiture et subissent de plein fouet la hausse du prix des carburants, voyaient disparaître sous leurs yeux les institutions qui, du bureau de poste à l’école en passant par la gare, représentent la concrétisation locale de l’argent socialisé par « les taxes ». »

Mais, comme les gilets jaunes resurgis en masse des fêtes ce samedi, nous n’avons sûrement pas fini d’entendre la voix du Collectif citoyen du pays gencéen. 

Alice Lebreton

Rédaction

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