Un article de Bertrand Geay
« Nos victoires d’aujourd’hui viennent de loin. Des luttes antinucléaires à celles pour les retraites, de nos engagements pacifistes à nos combats pour une éducation émancipatrice, du syndicalisme autogestionnaire aux mobilisations contre le chômage, la précarité et les exclusions, de chaque mètre carré reconquis sur le plateau du Larzac ou dans le bocage de Notre-Dame-des-Landes jusqu’aux actions concrètes pour l’égalité des genres, les droits LGBT ou l’accueil des migrants. Une contre-société faite de mille initiatives locales s’est peu à peu affirmée dans les institutions. Et une nouvelle génération, débarrassée des fractures et des hésitations du passé, s’est lancée dans la conquête d’une nouvelle hégémonie politique.
Depuis près de vingt ans, face aux compromissions et à l’effondrement de l’ancien bloc réformiste, l’urgence était au rassemblement de toutes les fractions de la gauche et de l’écologie politique. La sociologie, l’économie critique et les sciences du vivant nous en fournissaient le cadre intellectuel. Le fédéralisme issu des traditions coopératives et des nouvelles formes de lutte sociale nous en offrait la modalité pratique. Il s’agissait d’être associatif et irrévérencieux, de rassembler sur l’essentiel pour distiller l’espoir et rendre possible l’unité populaire. Mais, presque inévitablement, s’installait une compétition pour déterminer les meilleures tactiques et les meilleures figures de proue. Comme dans les premiers temps du socialisme, chacun s’employait à construire l’unité selon ses propres méthodes et par la promotion de ses propres têtes de file. Les vieux appareils s’ouvraient à la radicalité, sans perdre de leur opportunisme. Ceux qui en étaient sortis se faisaient une spécialité de les haïr. Chacun attendait son heure et finissait par la laisser passer.
Avec la victoire de larges rassemblements écologistes, solidaires et citoyens aux récentes élections municipales, le moment est peut-être venu de fédérer, enfin. La lutte contre le changement climatique et pour la biodiversité, l’appropriation de l’économie et le renforcement des services publics, la promotion de l’égalité et de tout ce qui fait notre existence commune, exigent des transitions rapides, organisées et prenant appui sur de larges mobilisations populaires. Plus qu’un simple cartel, mieux que de vagues assemblées participatives, il s’agit de réunir pas à pas, de faire dialoguer les cultures politiques et d’inventer les structures pérennes de délibération et d’action qui permettront les conquêtes de demain. Nous n’avons que quelques années pour relever les immenses défis écologiques et sociaux qui nous attendent et seulement quelques mois pour nous mettre en ordre de bataille. »
Bertrand Geay