• « Je ne retournerai plus à l’école.
  • – Pourquoi ?
  • – Parce que !  À l’école on m’apprend des choses que je ne sais pas. »

(En rachachant, 1982, d’après l’album jeunesse de Marguerite Duras, Ah ! Ernesto )

On nous répète inlassablement, et sans doute cela n’est-il pas faux, à quel point les élèves d’aujourd’hui ne sont pas ceux que nous avons été. Les élèves sont d’autres élèves, avec d’autres habitudes de travail, et les professeurs enseignent autrement. Soit. C’est forcément un peu vrai.

Pourtant, combien d’élèves jusqu’à la Terminale (au moins), voient encore le monde en face de leur table de travail à travers les lunettes d’Ernesto ? Ce personnage d’un album pour enfants, inventé par Marguerite Duras, dans les années 70, en quoi est-il particulièrement vieillot dans sa méfiance de la salle de classe , sa remise en cause de la signification de l’objet désigné ?

Ernesto est méfiant dans l’environnement scolaire, mais incroyablement curieux, à sa manière, selon les lois d’une autre logique. Peut-être même qu’une classe n’a pas juste un Ernesto, mais une bonne quinzaine au moins. D’une vive intelligence, rendue absurde dans l’étouffoir qu’est pour eux l’école. D’ailleurs, Ernesto devrait avoir juste à toutes les réponses qu’il donne, mais le maître n’en attend qu’une bien précise, qui n’est pas la façon de voir l’objet d’Ernesto. 

J’avais oublié le petit Ernesto, découvert par hasard dans un petit film de 1982 de 7 minutes, En rachachant, par Jean-Marie Straub et Danièle Huillet. Il fait sûrement son retour dans le fil de l’actualité de cette semaine dédiée à la parole des enseignant.e.s concrétisée demain jeudi 24 janvier à l’occasion de l’appel à la grève. Rassemblement à 10h30 à Poitiers devant le Rectorat.

Mais la réforme du lycée fait ressortir un quotidien de la vie de prof et de leurs rapports aux élèves qui bascule vers le domaine social. Peut-être le doit-on en grande partie au mouvement des stylos rouges. C’est ce qui ressort du dossier de Télérama de cette semaine, qui titrait à sa Une : Les profs parlent, violence, chahut, insultes…Marc Belpois y consacre un article, Quand le climat se dégrade,  dédié au chahut, en rappelant au passage que ce sujet n’est pas une nouveauté apparue ces cinq dernières comme le rappelle une enseignante, « Christine, professeure de français dans un lycée ordinaire du Beaujolais, a été conviée par son chef d’établissement à assister à une conférence sur le thème “L’adolescent a changé”» : 

« L’intervenant nous a expliqué que la culture du zapping, inhérente aux nouvelles technologies, faisait chuter la capacité d’attention des élèves. Que le collégien moyen ne pouvait désormais guère se concentrer plus de deux minutes trente. Et le lycéen, onze minutes, dit-elle en relisant ses notes. C’est sans doute vrai, mais je ne suis pas sûre qu’à mes débuts mes élèves étaient beaucoup plus attentifs. Un ado reste un ado ! »

Un dossier complémentaire à la conférence-débat de Frédérique Autin organisée par l’IEPOP lundi 21 janvier à la Maison des 3 Quartiers, L’école pour former – L’école pour trier. Les études de psychologie sociale relevées par Frédérique Autain insistaient sur les écarts de réussite creusés entre les classes sociales, « comment le contexte influence la réussite éventuelle de l’élève ». Jusqu’à la présentation de l’examen, qui joue un rôle conséquent dans la réussite ou non de l’élève : tout dépend si la présentation en question privilégie la sélection, avec l’idée qu’il s’agit d’être classé parmi les meilleurs, ou bien de formation, où l’examen sera présenté comme un outil de progression en repérant les points forts et faibles dans l’apprentissage de l’élève. 

Bien entendu, toutes ces études indiquent que non seulement des outils tels que l’évaluation normative produisent un écart de performance selon les milieux sociaux des élèves, là où l’évaluation formative présente des différences tout de même réduites, avec par exemple le principe des commentaires, mais elles confirment que l’analyse de Bourdieu demeure toujours d’actualité :

« La scène de l’école est donc seulement le lieu où se traduit, avec les décalages, doubles jeux et déplacements propres à toute transposition, la « logique secrète » de la société. »

Le dossier de Télérama, Face aux violences scolaires, rouvre aussi un sujet qu’il serait intéressant d’approfondir à l’échelle des établissements du Grand Poitiers : cette idée, presque devenue un lieu commun, qui conçoit que la « violence scolaire » ne se trouverait que dans les établissements des zones d’éducation prioritaire :

« Comme le constate Denis Meuret, professeur en sciences de l’éducation […]“Aucune catégorie sociale n’est épargnée par ce phénomène”. Les classes populaires n’ont pas le monopole du chahut ».

On peut ouvrir le débat, toujours plus concret si on l’aborde à l’échelle locale, comme l’avait permis une récente émission d’Arrêt sur images, avec parmi les invités un professeur de l’Académie de Poitiers, Florent Huart : 

« “On notera au passage que médiatiquement, l’élève pénible, le délinquant, c’est un pauvre” », ironise Florent Huart. « “Or en général, les catégories favorisées ne sont pas plus sages que les autres” ». Ce qu’approuve Angélique Adamik : « “Quand j’ai commencé, j’étais TZR, titulaire d’une zone de remplacement, et j’ai fait un remplacement dans un milieu qui était très favorisé, et je peux vous dire que j’en garde un très mauvais souvenir” ». 

Comment se situeraient sur ce sujet les établissements de Grand Poitiers ? 

Alice Lebreton

Rédaction

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