Beaucoup d’articles qui ont suivi la mobilisation du week-end du 29 et 30 octobre à Sainte Soline ont tourné autour de “l’accroche” de la violence sur place. Voici quelques réflexions sans prétention sur le sujet.

Les médias mainstream au piège de leur sève

Les chaînes en continu sont un robinet à discours et à images qui jamais ne doit se tarir. Face à la mobilisation interdite de Sainte Soline, Cnews, BFM, LCI et France Info ne pouvaient cyniquement pas passer à côté de ce qui les nourrit :

  • l’esthétique du bruit (grenades, mégaphones, chants slogans) et des couleurs en mouvement (cortèges colorés, fumée des lacrimaux)
  • l’assurance de discours construits et nombreux (non seulement éditorialistes et journalistes mais aussi porte-paroles, personnalités sur place, quidam)
  • la possibilité de créer une polémique d’une certaine durée (ici légitimité de la lutte versus légalité de l’interdiction de manifester) afin de faire surgir des contradictions chez les opposant-es
  • le spectacle émotionnel de soldats casqués contre individus masqués, porteur de fantasmes variés (adrénaline, sang, peur, vengeance…). Nous avons déjà évoqué sur web86.info à l’occasion de la manifestation contre la vie chère et l’inaction climatique ces besoins de violence filmée et commentées pour cultiver la peur qui est le principal moteur du social. Lors des affrontements contre les Gilets Jaunes, on a déjà entendu le théorème « pas de casseurs, pas de 20h ».

La brève prise de bec filmée entre une manifestante cagoulée et Jadot (« on ne défend pas la même chose !» versus « j’étais déjà là il y a 9 ans ») a résumé tout cela. Ce bref échange un peu vif a été titrée comme une « violente altercation ». Le tag au blanc de chaux sur la voiture de location de Jadot (« crevure ») aura servi à offrir aux grands médias à la fois la « violence » des manifestant-es cagoulé-es contre un bien privé, et une contradiction possible des opposant-es (soutien d’un institutionnel houspillé par une partie des opposant-es).

Mais les médias mainstrean se retrouvent quand même pris dans leurs contradictions. Ils sont obligés, ne serait-ce qu’en passant, de parler du thème de la mobilisation (les bassines) et d’en faire à l’insu de leur plein gré un thème d’actualité nationale.

Autre problème, la peur habituellement instillée par ces médias dans le public contre les « classes dangereuses », les « partageux », les « jeunes », les « gauchistes » et – nouveauté – les « écoterroristes » se trouve quand même percutée par une autre peur, celle du manque d’eau, du rationnement, du manque, de l’empoisonnement par les intrants…

Un mélange de générations militantes pour l’efficacité

Les générations militantes des moins de 40 ans – à la louche – sont nées dans ce monde d’images bavardes (chaînes en continu, internet, réseaux sociaux). Elles contrôlent les outils techniques, se repèrent dans l’extension de « la société du spectacle » et sont conscientes des contradictions médiatiques évoquées plus haut.

Les générations plus âgées sont sans doute plus orientées vers l’écrit, le travail d’expertise, les contentieux juridiques, les manifestations bon enfant. Après 68 il a existé des dérives militaristes (voir le film Mourir à trente ans et il y a eu bien plus tragique et mortel ailleurs. Elle reste toujours possibles). Puis la montée des mouvements sociaux et de la gauche politique et sociale a vu des revendications importantes prises en compte. Enfin à partir de 1983 ce fut le travail de sape du Parti Socialiste au pouvoir pour rétablir le taux de profit (privatisations, répressions, précarisation etc.). Depuis lors, les mobilisations bon enfant sont vouées soit à l’échec complet (El Komri) soit à freiner le pire autant que possible (réformes des retraites).

La victoire de Notre Dame des Landes a montré l’efficacité de combiner d’une part l’action radicale (braver l’interdit) et nationale (Les Soulèvements de la Terre) et d’autre part la protestation traditionnelle (manifestation, fête, débat, mobilisation de la population locale). Ce qui réunit les générations c’est sans doute cette volonté d’efficacité (« la bassine ne se fera pas »).

Pour résumer tout cela disons que le fait de couper cagoulé-es les tuyaux de pompage de la bassine devant les caméras c’est entériner médiatiquement que l’eau des bassines ne vient pas de l’eau de pluie et qu’on peut empêcher la bassine de se remplir

L’ordre ou le chaos ?

Les forces de l’ordre… politiques (Macron,LR, RN) en reste à la dichotomie ordre versus chaos. Mais les forces gouvernementales ont de plus en plus de mal à revendiquer l’ordre quand l’inflation n’est pas maîtrisée, l’hôpital ne peut plus assurer correctement les urgences, le pays se fait condamner à moult reprises pour « inaction climatique » alors que la conscience du réchauffement climatique est installé, on se prépare à des coupures d’eau, de gaz et d’électricité et une longue liste d’etc.

La démocratie reste-t-elle le meilleur système pour le capitalisme ?

Si une certaine violence et illégalité est acceptée par tant de manifestant-es, c’est qu’il y a trop longtemps que les revendications sociales et environnementales ne sont plus écoutées par les néo-libéraux de droite et de gauche qui se sont succédés au pouvoir, dans l’UE comme en France. Le fameux « dialogue social » est étouffé.

Nos élites politiques financières et médiatiques semblent se débattre entre deux options.

D’un côté il existe la tentation de soutenir l’extrême droite par exemple avec Bolloré et Cnews, au Parlement les postes accordés au RN par les macronistes. Il existe la petite musique médiatico-politique qui tend à différencier le RN de la NUPES avec, en non dit, le thème du « plutôt Hitler que le Front Populaire ».

Mais il existe aussi une tentation autoritaire avec le 49.3 systématique, le Conseil de Défense pour gouverner, des moyens en augmentation des forces coercitives… Et il existe une nouveauté dans cette tentation autoritaire. Jusqu’à présent le cœur du bloc capitaliste occidental s’opposait à des blocs non capitalistes (URSS, Chine, Cuba…). Aujourd’hui la Russie comme la Chine fonctionnent à l’économie de marché comme les démocraties occidentales. Les États russe et plus encore chinois proclament à qui veut l’entendre qu’on peut exploiter la plus-value de façon bien plus efficace par la dictature que par la démocratie occidentale.*

L’Histoire que l’on souhaite reste à écrire.

PC

* Pour s’orienter dans ce débat nous vous recommandons la lecture d’un (très long) article théorique de Razmig Keucheyan sur l’État à partir de la relecture de Poulantzas

PC

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